vendredi 30 septembre 2016

La foi

Les entretiens du dimanche
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La foi
Ce dimanche-là, il tombait une pluie fine, qui imprégnait toute chose, toute personne. "Voilà, se dit Théophile, un phénomène naturel qui pourrait peut-être bien m'aider aujourd'hui pour l'entretien avec Candide." En lui-même, il se félicitait d'avoir fait appel à son ami François, pour l'aider à parler de la foi à Candide.
"Mais d'abord, cherchons un endroit abrité et sec pour cet entretien" Le curé de la paroisse lui proposa une petite salle à côté de l'église. Théophile s'en réjouit.
Par la fenêtre de la petite salle, il aperçut François qui arrivait. Un solide gaillard, d'une quarantaine d'années. Ingénieur électricien, ceinture noire en judo de surcroît. À trente ans, il prit conscience de la vanité de sa vie: il s'en ouvrit à un prêtre de sa connaissance, qui lui conseilla de faire une retraite dans un monastère. Résultat: mon ami devint "frère François" … moine franciscain! La pauvreté après l'aisance financière, une cellule spartiate équipée du strict nécessaire après un très confortable et coûteux appartement, un vêtement dans une étoffe grossière au lieu d'un complet veston en tweed grand chic… Voilà pourquoi Théophile se réjouissait de la venue de François pour l'aider à répondre aux questions sur la foi que Candide allait sans doute leur distiller. François avait vécu une expérience bien en rapport avec la demande de Candide.

Candide arriva, toujours aussi vive, le parapluie largement déployé, le sourire aux lèvres. Théophile fit les présentations:
-"Candide, je te présente frère François, mon ami, ingénieur de formation qui a préféré la pauvreté aux joies de l'électricité! "
- La carrure et l'habit de François impressionnèrent Candide
"Bonjour… Vous êtes un vrai moine?.... Ah! je comprends … Théophile a besoin de secours? Le pauvre!"
- "Du secours? je ne sais pas vraiment, intervint François… Bien que diacre, il ne sait sûrement pas tout de sa propre religion. Quant à sa foi, je n'ose pas me prononcer, n'est-ce pas Théo?"
Théophile ignora cette remarque, et s'empressa de résumer pour François les deux entretiens déjà vécus:
- "Candide souhaite que nous lui parlions de la foi, de notre foi plus exactement, devrais-je dire"
- "Veux-tu commencer, François"
- "Bien. Je vais tenter d'être aussi clair que possible pour vous.
D'abord, le mot <foi >: que signifie-t-il ? ... Il est assez proche du  mot <confiance>… Mais, en matière de religion, il a un sens  qui mérite une analyse un peu spéciale ... Attention, chère Candide, voilà un peu de grammaire!
Je commence. Accroche-toi!
- "Je suis prête, les oreilles grandes ouvertes!"
- "Bien … En religion, on a coutume de dire que l'acte de foi comporte trois éléments :
1°- Il y a d'abord le consentement de la raison : je crois que Dieu existe et qu'il s'est révélé à nous c'est-à-dire que je considère comme vraisemblable ou probable que Dieu existe. À noter que "Dieu" est employé au singulier, ce qui revient à exclure l'éventualité du polythéisme.
2°- Il y a ensuite le consentement de la volonté : je crois Dieu, c'est-à-dire que j'ai confiance en lui, je me repose entièrement sur lui. Je crois pour sincère, véridique, la parole de Dieu rapportée dans la Bible. J'ajoute foi à ce que Dieu dit.
3°- De ces deux points de vue découle le troisième : je crois en Dieu c'est-à-dire que je me mets en route vers lui et avec lui.
En conclusion :
ð je crois que Dieu existe et n'est pas une construction abstraite de l'imagination humaine. Je crois Dieu, et je crois en Dieu puisque j'ai confiance en lui.
ð Il en résulte qu'il faut donc que je me mette en route avec le Christ, car il a dit à ses apôtres et ses disciples:
"Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde"  (Mt 28,20).
Il leur dit aussi: "Allez dans le monde entier proclamer l'Évangile à toute la création." (Mc 16,15)) et: «De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » (Mt 28,19 ).
        
Pour saint Augustin qui est l'auteur de cette décomposition du concept de la foi en trois éléments, la progression se fait dans le sens de plus en plus fort : par la raison il considère comme vraisemblable ou probable l'existence de Dieu, puis par volonté il tient Dieu pour sincère et véridique, il ajoute foi à ce qu'il dit, enfin il a confiance en Dieu et il se met en chemin vers Dieu et à la suite de Dieu."

Candide avait écouté, en silence, très attentivement. Elle "digérait" ce copieux exposé, peut-être un peu trop analytique … Frère François et Théophile respectèrent son silence; Candide réfléchissait, elle semblait si absorbée par ses pensées que tous les deux n'osèrent pas lui adresser la moindre parole.  Qu'est-ce qui allait se passer lorsque Candide sortirait de son silence?
Enfin, elle reprit vie.
- "Frère François, merci pour la leçon de grammaire, dit-elle avec une pointe d'ironie. Vous avez cité saint Augustin: qui c'est?"
- "Pour faire court, reprit frère François, je dirai que Augustin (354-430) mena dans sa jeunesse une vie assez agitée, éloignée de la religion chrétienne. Puis, un jour, il eut une révélation, qui changea radicalement son existence. Il fut un grand évêque, philosophe et théologien éminent. Après sa mort, sa conduite exemplaire lui valut d'être distingué par les chrétiens qui le déclarèrent saint…vous savez, Candide, que ce résumé ne ferait peut-être pas l'unanimité dans l'Église, mais j'ai voulu être bref pour en venir à l'essentiel de votre demande concernant la foi."

- Merci frère, mais < se mettre en chemin>, ça veut dire quoi? … Non, ne dites rien, intervint-elle en voyant François près de répondre. Et pourquoi <avec le Christ>? .. Faut-il avoir lu la Bible, entièrement ou non, parce que c'est un livre volumineux, décourageant  a priori, non? Pas étonnant qu'il y ait si peu de monde à la messe! Tout ce que vous dites est décourageant, ça suppose une volonté et une assiduité permanentes … "

- François lui répondit: "Il est certain que la progression dont parle saint Augustin se fera de façon personnelle et unique pour chaque personne. Tout dépend du milieu social, du degré de culture de chacun, mais, et j'insiste sur ce point, tout dépendra du cœur plus que de la raison. La révélation de Dieu peut-être soudaine, mais aussi prendre du temps"

- "Ce fut mon cas, murmura Théophile. Dans mon enfance, l'exemple de ma grand-mère m'irrita d'abord. Toujours prier, Jésus à toute occasion … Ouh! Puis l'adolescence, malgré un catéchisme bâclé et raccourci, me fit comprendre certaines choses. Avec la jeunesse du jeune homme, je pris mes distances avec la religion, jusqu'à tout oublier. C'est beaucoup plus tard que Dieu me rattrapa; il ne m'avait pas oublié, mais il fallait que j'atteigne enfin le stade où la raison cède la place au cœur.

- Reprenant les mots de Candide, frère François lui dit:
"Décourageant … voilà le mot que tu as utilisé à propos de la Bible. C'est vrai, à première vue. Pas d'images, quelquefois des mots et des expressions incompréhensibles … Bref, ce n'est pas un livre attrayant. Mais c'est le livre le plus vendu et lu dans le monde entier, même dans les pays d'athéisme pesant. Une Bible classique, c'est près de 1.800 pages, double colonne! Pas question de commencer par la première page! Tu n'irais pas loin.
         C'est comme de visiter un vaste musée, par exemple le Louvre à Paris. Tu feras comme la majorité des visiteurs: le nez en l'air, peut-être un petit guide en main, pas sûr. Au bout d'un moment, les jambes deviennent lourdes, le besoin de s'asseoir se fait pressant, quelques bâillements surviennent, et puis le visiteur, accablé par l'immensité de la tâche, se lève et s'en va.
         Pour la Bible, c'est pareil."
-"Alors, c'est sans espoir?" s'écria Candide.
- "Bien sûr que non! Il y a deux possibilités: soit faire partie d'un petit groupe d'étude biblique, souvent en paroisse à l'initiative d'un prêtre, soit participer à la messe dominicale. En effet, dans sa sagesse, l'Église a sélectionné des textes proposés chaque dimanche, répartis sur trois années, désignées par les lettres A, B, et C. Le paroissien assidu à la messe dominicale prendra ainsi connaissance des principaux passages de la Bible, et avec un peu de chance bénéficiera du commentaire apporté par le prêtre célébrant ou le diacre qui l'assiste… à condition de ne pas se laisser aller à un moment de rêverie!!!
         Évidemment, cela ne dispense pas d'un travail personnel d'étude et de réflexion.
         J'allais oublier: sur internet, on trouve des sites religieux dignes de confiance qui apportent des propositions de méditation, de prière, avec des commentaires sérieux et documentés.

- "Théo, je compte sur toi pour me guider, n'est-ce pas?"
- "Oui, Candide".
- "Vous êtes des amis très chers, toi Théo et vous aussi frère, souligna Candide; le temps passe vite, et j'aurais encore d'autres questions. Ce sera pour une prochaine fois."
- " De quoi parlerons-nous dimanche prochain?" demanda Théophile à Candide.
- " Je n'ai pas d'idée à l'instant; il y a tellement de choses à apprendre ou à comprendre. Laisse-moi y réfléchir", soupira-t-elle.

Ils se quittèrent sur ces mots. La pluie avait cessé; un timide rayon de soleil perçait les nuages gris sombre. Nos trois amis étaient heureux de ce temps de partage: il était utile à Candide, mais peut-être plus encore à frère François et à Théophile.

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Complément à cet entretien
27e dimanche du temps ordinaire, année C.
Évangile selon saint Luc 17,6-10
05 Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! »
06 Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous aurait obéi.

07 Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : “Viens vite prendre place à table” ?
08 Ne lui dira-t-il pas plutôt : “Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour” ?
09 Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ?
10 De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir.”
Proposition de médiation
Il faut nourrir sa foi ! On ne le répétera jamais assez. Combien de chrétiens se sentent incapables de parler de leur foi, simplement parce qu'ils vivent sur les acquis de leur catéchisme (ou ce qu'il en reste), et sur les quelques paroles des homélies qu'ils ont pu saisir.
L'étude de la Parole de Dieu est une nécessité pour étayer et renforcer la foi, mais cette étude ne saurait être un but en soi: la charité ne doit pas être absente de nos activités religieuses, sous peine de rendre vaine et stérile notre foi. Le message de l'Évangile ne doit pas rester sans mise en pratique comme nous y exhorte saint Jacques :
Mettez la Parole en application, ne vous contentez pas de l'écouter : ce serait vous faire illusion. Car écouter la Parole sans la mettre en application, c'est ressembler à un homme qui se regarde dans une glace, et qui, aussitôt après, s'en va en oubliant de quoi il avait l'air. Au contraire, l'homme qui se penche sur la loi parfaite, celle de la liberté, et qui s'y tient, celui qui ne l'écoute pas pour l'oublier, mais l'applique dans ses actes, heureux sera-t-il d'agir ainsi. (Jc 1,22-25).
C'est en méditant la Parole de Dieu que nous affermissons notre foi. Dans l'étude de l'Écriture, nous puisons persévérance et courage: la Parole aide  à chercher et comprendre le sens de notre pèlerinage sur la Terre. Relisons saint Paul (Rm 15, 4-9a.13):
Or, tout ce que les livres saints ont dit avant nous est écrit pour nous instruire, afin que nous possédions l'espérance grâce à la persévérance et au courage que donne l'Écriture. Que le Dieu de la persévérance et du courage vous donne d'être d'accord entre vous selon l'esprit du Christ Jésus. Ainsi, d'un même coeur, d'une même voix, vous rendrez gloire à Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ.
Accueillez-vous donc les uns les autres comme le Christ vous a accueillis pour la gloire de Dieu, vous qui étiez païens. Si le Christ s'est fait le serviteur des Juifs, c'est en raison de la fidélité de Dieu, pour garantir les promesses faites à nos pères ; mais, je vous le déclare, c'est en raison de la miséricorde de Dieu que les nations païennes peuvent lui rendre gloire.
Que le Dieu de l'espérance vous remplisse, vous qui croyez, de joie et de paix parfaites, afin que vous débordiez d'espérance par la puissance de l'Esprit Saint.
L'étude de la Parole de Dieu est indispensable pour approfondir notre foi. Il ne faut  pas se laisser décourager par l'apparition de nouvelles questions qui surgissent  et qui peuvent, dans certains cas, faire croire à une régression de la foi, voire faire naître le doute. Persévérer est vital pour notre foi : « Il faut que, par la foi, vous teniez, solides et fermes ; ne vous laissez pas détourner de l'espérance que vous avez reçue en écoutant l'Évangile proclamé à toute créature sous le ciel » (Col 1,23).
Sans nourriture par la Parole de Dieu, la foi s’appauvrit  inexorablement.  Cependant, ne nous décourageons pas : le Seigneur nous vient toujours en aide; ce n'est pas lui qui nous abandonne, mais c'est nous qui doutons de Lui.
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Les illustrations

- Saint François d'Assise de Francisco de Zurbaran (1598–1664)
- Nota: la robe de frère François est faite d'un tissu de laine assez grossier, appelé bure. Cette étoffe sert de base à la confection de vêtements pour les religieux et en particulier pour les habits des moines.
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Chers lecteurs, si vous avez des remarques, des observations ou des questions, écrivez-moi à l'adresse theophile21@orange.fr
À suivre chaque dimanche … si vous le voulez bien.
dimanche 2 octobre 2016


vendredi 23 septembre 2016

L'amour et la patience de Dieu

Les entretiens du dimanche
2
L'amour et la patience de Dieu

Dimanche dernier, nos deux amis se sont quittés sur une remarque de Candide à Théophile, une vraie question plutôt. Rappelons-nous:
- Depuis quelque temps, il me semble que quelqu'un me parle. Je suis troublée par cette voix intérieure. Serait-ce ton Dieu ? … Je n’ai pas osé en parler à ma famille ni à mes amis, de crainte qu’ils ne se moquent de moi. … Je me suis dis que, toi qui est diacre, tu m’écouterais, que tu m’aiderais à y voir clair. Veux-tu m’aider ?

C'est ainsi qu'après la messe, Théophile alla retrouver Candide dans le petit cloître de l’église. Elle était toute pensive. Ce qui occupait ses pensées ne pouvait sans doute pas s’exprimer facilement. Cependant, si elle venait demander conseil à son vieil ami, c'est bien évidemment parce qu'elle avait confiance en lui et savait qu'elle ne risquait pas un accueil moqueur à ses interrogations. La différence d'âge était aussi un gage de respect et d'écoute attentive, et de compréhension également.

Il est vrai que parler de Dieu aujourd'hui est difficile dans notre société qui se proclame laïque et même laïciste. Aujourd’hui, très peu de personnes osent ouvertement  parler de leur religion. Le monde politique, au plus haut niveau et dans sa majorité, veut restreindre l'exercice de la religion "dans la sphère privée"; un comble pour un peuple si fier de sa Déclaration des droits de l'homme, de sa liberté conquise il ya plus de deux siècles, et de l'affirmation de ses aspirations à la fraternité dans un esprit d'égalité! Un de mes professeurs de philosophie soutenait l'idée que la liberté s'arrête où commence celle des autres; belle définition,  à laquelle semble se substituer une nouvelle conception, plus restrictive, celle qui donnerait le droit arbitraire de limiter la liberté de ceux qui n'ont pas le bonheur de plaire! (Avez-vous noté comme on parle beaucoup de droit et peu de devoir ?)
Un autre écueil réside dans le prêchi-prêcha ou, pire, dans une sorte d’affirmation péremptoire de sa croyance.

Nos deux amis étaient assis entre deux colonnes du cloître. Le dimanche précédent, Candide avait écouté attentivement les propos de Théophile, sans l'interrompre. Aujourd'hui encore, un long silence s'était établi entre eux, seulement agrémenté par le roucoulement de deux tourterelles. 
Apparemment, Théophile ne voulait pas bousculer Candide par des questions. Au bout de quelques instants, elle rompit enfin le silence.
- "Théophile, je ne sais comment te dire clairement ce que je ressens. Il me semble que mon imagination me joue un tour. Si Dieu existe, comment pourrait-il s’intéresser à moi ? Je ne suis rien, je ne crois pas en Lui, je n’ai reçu aucune éducation religieuse?"
Elle se tut à nouveau. Théophile respectait son silence, car il comprenait son trouble, ses hésitations. Théophile avait vécu la même expérience avant d'être ordonné diacre.

- "Ma pensée est hésitante, reprit Candide. Croire en Dieu avec tout le mal qui nous entoure, les famines, les guerres, les attentats, est-ce possible ? …Crois-tu que cette voix intérieure n’est pas le fruit de quelque divagation ?"
- "Candide … tu es une personne équilibrée et ce que tu ressens en toi est une réalité. Je vais te raconter ce qui m’a conduit à la foi qui est mienne.
et Théophile lui raconta son cheminement:
- "Vois-tu! Je suis né dans une famille diversement croyante et pratiquante ; mes parents m'ont donné une bonne éducation religieuse que je n'ai pas cultivée après le catéchisme. Du catéchisme qui me fut enseigné, je n’ai rien retenu, mis à part les récits de la guerre des Maccabées. Avoue que c’est nul: retenir un récit de guerre alors qu'on m'enseignait une religion qui prône l'amour fraternel, la charité, la compassion, et j'en passe...."
Mon père, qui était officier d'artillerie, avait vécu une expérience terrible lors de la Seconde Guerre mondiale. Il s'était retrouvé isolé au cours d'un dur combat dans le nord de la France. Pourchassé par des patrouilles allemandes, il ne dut son salut qu'en passant une nuit, dans l'eau glacée d'une rivière envahie de roseaux. Il fit alors une promesse à Dieu, celle d'aller chaque dimanche à la messe. Les soldats ennemis abandonnèrent la poursuite. Cette promesse, il l'a tenue jusqu'à sa mort.
Il m'avait raconté cet épisode. Chaque dimanche, je l'accompagnais à la messe; par modestie et aussi par humilité, nous restions au dernier rang de chaises de l'église. Tous les deux, en silence, nous participions à l'office.
Il n'y eut pas que mon père qui manifestait sa foi. Ma grand-mère maternelle était très pieuse; je la revois, avec beaucoup d'émotion, assise dans notre jardin, priant le chapelet à la Vierge Marie. Depuis de longues années, j'ai une grande dévotion pour Marie… Si tu le souhaites, je te donnerai la prière qu'on attribue à saint Bernard.
Jusqu'à l'âge de vingt-quatre ans, j’allais à la messe, mais je ne ressentais pas grand-chose, je restai passif : dite en latin, par un prêtre tournant le dos aux fidèles, il n’y avait là rien de bien entraînant. Puis mes études supérieures et un long service militaire m’ont éloigné de l’Église. Ma formation scientifique se rebellait à l’idée de ce qu’elle considérait comme irrationnel.
Ces années d'éloignement furent aussi une période où la prière a été inexistante dans ma vie. Je me suis marié. C'est après le concile Vatican II, dont j'ai suivi les travaux d’assez loin, que j'ai retrouvé le chemin de l'Église. Beaucoup plus tard, au cours d’une messe, un passage de la lettre de saint Jacques me donna un choc. Le voici :
« Parlez et agissez comme des gens qui vont être jugés par une loi de liberté… À quoi cela sert-il, mes frères, que quelqu'un dise: <J'ai la foi>, s'il n'a pas les oeuvres? La foi peut-elle le sauver? ... » (Jc 2,12.14)
Plus tard encore, pendant un pèlerinage à Lourdes, second choc :
« Quiconque entend ces paroles que je viens de dire et ne les met pas en pratique, peut se comparer à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, la tempête a soufflé, elle a secoué cette maison ; la maison s'est écroulée, et son écroulement a été complet. »(Mt 7,26-27)
Ce fut le point de départ d’un long cheminement de dix ans qui m’a conduit à l’ordination diaconale. Un prêtre âgé et d'esprit ouvert m'a accompagné: je lui dois beaucoup.
Vois-tu, Dieu est patient, Il ne bouscule pas celui en qui Il met sa confiance; son amour et sa patience sont infinis, et surtout Dieu respecte notre liberté de répondre oui ou non à son appel; notre réponse, si elle est positive, s'appelle "vocation", du latin vocare (appeler). En effet, Dieu laisse toute liberté à celui, ou celle, qu’il appelle.. Dieu sait quelles sont les forces et les faiblesses de chacun; sa miséricorde est tout acquise à celui et à celle qu’Il sollicite."



"L'amour véritable respecte la liberté de l'être aimé. Il contribue à son épanouissement, il est patient, il ne s'impose pas"…
Connais-tu le passage de saint Paul dans sa première lettre aux Corinthiens? … Non, bien sûr, suis-je bête! Le voici, très résumé, car il est assez long. C'est saint Paul qui parle:
J'aurais beau parler toutes les langues de la terre et du ciel, si je n'ai pas la charité, s'il me manque l'amour, je ne suis qu'un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante… S'il me manque l'amour, je ne suis rien. J'aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j'aurais beau me faire brûler vif, s'il me manque l'amour, cela ne me sert à rien.
L'amour prend patience ; l'amour rend service ; l'amour ne jalouse pas; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d'orgueil ; il ne fait rien de malhonnête ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s'emporte pas ; il n'entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est mal, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout.
L'amour ne passera jamais.
 (1 Co 13,1-13)
Ce que n'a pas dit Théophile à Candide, afin de ne pas la troubler, c'est que l'amour dont parle saint Paul est celui qui ira jusqu'à donner sa vie à l'être aimé, s'il le faut. C'est l'agape. Peut-être, plus tard, Théophile se lancera -t-il dans cette explication?
Candide avait écouté très attentivement; elle était plongée dans ses pensées...
- "Si je comprends bien ce que tu veux me dire, reprit-elle, ce serait ce qui me pousse en ce moment, ce pourrait bien être Dieu ? Mais pourquoi moi ?"

- "Bonne question. Vois-tu, Candide, ce qui m’est arrivé a nécessité beaucoup d’années de réflexion, d'interrogations, de doute aussi... Rien n’était clair ni évident pour moi. Ma famille connaissait mes interrogations; elle m'aidait beaucoup.
Ce n'est pas facile de répondre « oui » à Dieu. Ça prend du temps. Il ne faut pas que tu restes seule, il faut parler de ce qui t’arrive et ne pas craindre l’indifférence ou l’ironie des autres. Et surtout, il te faut rechercher ce qui fait le cœur de la foi du chrétien... La raison est la patronne au début, et puis un jour c’est le cœur qui prend le relais et reconnaît Dieu. C'est par un cheminement plus ou moins long que tu découvriras si c'est Dieu qui t'appelle. Peut-être, ce n'est qu'un besoin de vérité qui te préoccupe actuellement."


Un long silence se fit. Candide réfléchissait. La lutte intérieure qui se livrait en elle transparaissait sur son visage. Toute son attitude montrait combien elle hésitait entre un « non » immédiat et définitif et un « peut-être bien que … »
Enfin, Candide sortit de sa réflexion :
- « Dimanche prochain, pourrais-tu me parler de ta foi ?»

L'heure qui s'était écoulée les avait séparés du monde, les plongeant tous deux dans un abîme de silence, de réflexion aussi, peut-être même de perplexité pour Candide.

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Complément à cet entretien
26e dimanche du temps ordinaire, année C.
Évangile selon saint Luc : Lc 16,19-31
19 “ Il y avait un homme riche, qui portait des vêtements de luxe et faisait chaque jour des festins somptueux. 20 Un pauvre, nommé Lazare, était couché devant le portail, couvert de plaies. 21 Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais c'étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses plaies.
22 Or le pauvre mourut, et les anges l'emportèrent auprès d'Abraham. Le riche mourut aussi, et on l'enterra. 23 Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; il leva les yeux et vit de loin Abraham avec Lazare tout près de lui. 24 Alors il cria : 'Abraham, mon père, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l'eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise. - 25 Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : Tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur. Maintenant il trouve ici la consolation, et toi, c'est ton tour de souffrir. 26 De plus, un grand abîme a été mis entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient aller vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne vienne pas vers nous.'
27 Le riche répliqua : 'Eh bien ! père, je te prie d'envoyer Lazare dans la maison de mon père. 28 J'ai cinq frères : qu'il les avertisse pour qu'ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture ! 29 Abraham lui dit : 'Ils ont Moïse et les Prophètes : qu'ils les écoutent ! - 30 Non, père Abraham, dit le riche, mais si quelqu'un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.' 31 Abraham répondit : 'S'ils n'écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu'un pourra bien ressusciter d'entre les morts : ils ne seront pas convaincus.' ”


Nous pourrions méditer ce commentaire de saint Jean Chrysostome:
Riches ou pauvres, efforçons-nous d'imiter Lazare ! Lui qui eut à soutenir, non pas un malheur, ni deux, ni trois, mais une multitude : pauvreté, maladie, délaissement, abandon de tous ceux qui eussent dû le secourir. Il a souffert jusque dans la maison qui pouvait le mieux le libérer de tous ces maux ; mais personne n'a daigné lui accorder la plus infime consolation.
Nota : saint Jean Chrysostome ( vers 344 - mort en 407) a été archevêque de Constantinople et l'un des Pères de l'Eglise grecque. Son éloquence est à l'origine de son surnom de « Chrysostome » (en grec,  littéralement « Bouche d'or »). Sa rigueur et son zèle réformateur l'ont conduit à l'exil et à la mort.
C'est un saint et un docteur de l'Eglise catholique, de l'Eglise orthodoxe et de l'Eglise copte, fêté le 13 septembre en Occident et le 30 janvier en Orient.
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Les illustrations
- L'appel de Samuel: la vocation de Samuel est relatée dans la Bible (Ancien Testament: 1 Samuel 3, 1-10,19 - 4, 1 a      Vocation prophétique de Samuel.
- Lazare et l'homme riche: Bible (Nouveau Testament) en Lc 16,19-31
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Chers lecteurs, si vous avez des remarques, des observations ou des questions, écrivez-moi à l'adresse theophile21@orange.fr
a dimanche prochain, si vous voulez bien.
dimanche 25 septembre 2016


jeudi 15 septembre 2016

Entretiens du dimanche 18 septembre 2016

                              Les entretiens du dimanche
                                                                 1
                                                 Candide et Théophile

C’était un dimanche qui s’annonçait comme tous les autres dimanches : levé un peu plus tard que d’habitude, petit déjeuner amélioré, toilette. Puis vers 10 heures je m’étais mis en route pour me rendre à l’église de mon quartier pour participer à la messe.
Il faut vous dire que je suis diacre permanent. On m'appelle Théophile. Mais peut-être ignorez-vous ce qu'est un diacre permanent? Bonne question. Le mot "diacre" vient du grec et signifie "serviteur"; son équivalent en latin est "minister", d'où le français "ministre". Le diacre permanent est un homme, de 35 ans au moins, qui est ordonné par l'évêque en vue d'une mission personnelle bien déterminée, en général pour venir en aide aux pauvres, aux personnes souffrantes; bien d'autres missions existent. En France, le diacre est très souvent marié, en activité dans la société civile (ingénieur, commerçant, etc). Outre cette mission, le diacre permanent ne  peut célébrer que deux sacrements (mariage, baptême); et les funérailles, bien évidemment. Enfin, il peut prononcer l'homélie de la messe dominicale. Un homme marié n'est ordonné diacre que si son épouse y consent ! Enfin, de plus le mot "permanent" implique que le diacre ne sera jamais prêtre, même s'il devenait veuf. Comme toute règle, il peut y avoir une exception, mais c'est le pape qui est le seul habilité à l'accorder.
Bref, ce dimanche me semblait ne pas devoir être différent des autres dimanches.
En montant les marches du parvis, je sentis une main, derrière moi, se poser doucement sur mon épaule. Surpris, je me retournais et là … là, quelle ne fut pas mon étonnement de reconnaître mon amie Candide, que j’avais perdue de vue depuis quelques années! Candide est une jeune femme qui a pris ses distances avec la religion, du moins je le crois.
      - Candide, que je suis heureux de te revoir. Que fais-tu là ? Que deviens-tu ?
      - Ce serait bien long à te raconter.
                            (elle hésita avant de poursuivre)
Théophile, tu sais que je ne suis pas baptisée. Depuis quelque temps, il me semble que quelqu’un me parle. Je suis troublée par cette voix intérieure. Serait-ce ton Dieu ?
(elle se tut)
      - Racontes-moi.
     - Eh bien voilà. Je n’ai pas osé en parler à ma famille ni à mes amis, de crainte qu’ils ne se moquent de moi. Mais j’ai appris que tu avais été ordonné diacre. Alors je me suis dis que, toi, tu m’écouterais, que tu m’aiderais à y voir clair. Veux-tu m’aider ?
     - Bien sûr. C’est l’heure de la messe. Entres et tu m’attendras ; après l’office, nous reprendrons cette conversation dans le petit cloître de l’église. Cela te convient-il ?
    - Oui.
Et voilà comment naquirent ce que nous appellerons les entretiens du dimanche.
                                                    *****
                            Petit complément à cet entretien l'entretien.
                                     Proposition de méditation

Il nous semble qu'à un moment se présentent en toute vie plusieurs questions existentielles, à tout homme et à toute femme, en particulier dans nos sociétés occidentales en ces périodes troublées qu'elles vivent: attentats, migrations massives, guerres, pauvreté et précarité, souffrances, solitude, avenir fermé,…
- Pourquoi tant de mal? Pourquoi tant d'indifférence entre les gens?
- Pourquoi Dieu semble-t-il absent ou indifférent à nos souffrances?
- Je suis chrétien: ma vie est-elle conforme à l'enseignement du Christ?
- L'argent pourrit la société: quel enseignement tirer personnellement de l'évangile de dimanche 18 septembre 2016? En voici le texte:
Lc 16,1-13
01 Jésus disait encore aux disciples : « Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé comme dilapidant ses biens.
02 Il le convoqua et lui dit : “Qu’est-ce que j’apprends à ton sujet ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car tu ne peux plus être mon gérant.”
03 Le gérant se dit en lui-même : “Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gestion ? Travailler la terre ? Je n’en ai pas la force. Mendier ? J’aurais honte.
04 Je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois renvoyé de ma gérance, des gens m’accueillent chez eux.”
05 Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier : “Combien dois-tu à mon maître ?”
06 Il répondit : “Cent barils d’huile.” Le gérant lui dit : “Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.”
07 Puis il demanda à un autre : “Et toi, combien dois-tu ?” Il répondit : “Cent sacs de blé.” Le gérant lui dit : “Voici ton reçu, écris quatre-vingts.
08 Le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête car il avait agi avec habileté ; en effet, les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière.
09 Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
10 Celui qui est digne de confiance dans la moindre chose est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est malhonnête dans la moindre chose est malhonnête aussi dans une grande.
11 Si donc vous n’avez pas été dignes de confiance pour l’argent malhonnête, qui vous confiera le bien véritable ?
12 Et si, pour ce qui est à autrui, vous n’avez pas été dignes de confiance, ce qui vous revient, qui vous le donnera ?
13 Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. »

Saint Grégoire de Nazianze (330-390) adressait ce conseil à ses contemporains:
        Ne soyons pas de mauvais gérants des biens qui nous sont confiés afin de ne pas nous entendre dire : « Rougissez, vous qui retenez le bien d'autrui ; imitez la justice de Dieu et il n'y aura plus de pauvres ». Ne nous épuisons pas à amasser et à tenir en réserve quand d'autres sont épuisés par la faim.


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À suivre dimanche prochain… si vous le voulez bien.


L'article du dimanche 25 septembre sera accompagné d'une proposition de méditation sur l'évangile du dimanche.

Théophile, diacre permanent