jeudi 23 février 2017

Le Mercredi des Cendres

Les entretiens du dimanche
24
La célébration du Mercredi des cendres
Pénitence, prière, aumône et jeûne
Les quatre piliers du carême


         En se quittant le dimanche précédent, Candide avait demandé à Théophile qu'il lui commente les évangiles du Mercredi des Cendres et des dimanches du carême. Un peu surpris de cette demande, Théophile lui en avait demandé la raison : "C'est simple, avait répondu Candide. Le carême me semble être une période importante pour préparer la grande fête de Pâques, n'est-ce pas?"

         Ce dimanche-là, il pleuvait. Candide arriva avec un splendide parapluie jaune et blanc. Théophile ne put s'empêcher, en l'accueillant, de lui dire: "Candide, ton parapluie est magnifique. Sais-tu qu'il est aux couleurs du Vatican?"
-"Euh … Non … Ah! mais je me souviens; c'est mon amie Cécile qui est allée à Rome et qui me le prête pour aujourd'hui! … Voilà pourquoi il est ainsi coloré! … Génial!"
-"Tu m'as demandé de te commenter les évangiles du Mercredi des Cendres et des dimanches du carême. Commençons par le jour des cendres.
Je te rappelle brièvement que ce jour-là pour les chrétiens est un jour de pénitence. Je te lis tout de suite une citation en rapport avec cet évènement:
« Sonnez du cor à Sion ! Prescrivez un jeûne, publiez une solennité, réunissez le peuple, convoquez la communauté » [Jl 2, 15-16].
 <Ces paroles du prophète Joël mettent en lumière la dimension communautaire de la pénitence. Certes, le repentir ne peut provenir que du cœur, siège, selon l'anthropologie biblique, des intentions profondes de l'homme. Toutefois, les actes de pénitence exigent d'être vécus également avec les membres de la communauté.>
Cette citation est extraite de l'homélie donnée par  Saint Jean-Paul II, le Mercredi des Cendres, 5 mars 2003. Le Saint-Père mettait en évidence les deux dimensions de la pénitence : la dimension communautaire, la dimension personnelle (le cœur de l'homme)."
Rembrandt -Pénitent

-"Pénitence? Je vois à peu près ce que ce mot signifie, mais …"
-", Mais? … Faire pénitence, c’est implorer le pardon de Dieu pour une faute commise, nous dirons un péché c'est-à-dire une action, une parole, et même une pensée qui vont à l'encontre de ce à quoi nous sommes appelés et de ce que Dieu attend de nous. En effet, par le baptême et la confirmation, le chrétien devient une créature nouvelle, et par l'eucharistie il est intimement uni à Jésus-Christ, et à ses frères. Quand un chrétien prend conscience de ses erreurs, il éprouve le besoin de se réconcilier avec Dieu. Cela implique ce que l'on appelle couramment conversion, ce qui signifie un retour vers ce qui plaît à Dieu. La miséricorde de Dieu est plus grande que n'importe quel péché, que n'importe quelle faute, que n'importe quelle erreur. Le chrétien va donc entreprendre une démarche de pénitence. Cette démarche se concrétise dans le sacrement de réconciliation."
-"Je comprends … C'est tout?"
-"Non, tu t'en doutes bien. Se convertir, c'est changé radicalement l'orientation de notre vie, de nous détourner du mal, de nous tourner vers Dieu. Il faut bien reconnaître qu'aujourd'hui, dans le monde où nous vivons, cela n'est pas très facile.
J'ai découvert un passage du livre d'Isaïe qui illustre bien, à mon avis, ce que je viens de te dire. Je cite :
16       Lavez-vous, purifiez-vous
Ôtez de ma vue vos actions mauvaises,
cessez de faire le mal.
17       Apprenez à faire le bien :
recherchez la justice,
mettez au pas l'oppresseur,
faites droit à l'orphelin,
prenez la défense de la veuve.
18       Venez donc et discutons, dit le Seigneur.
Si vos péchés sont comme l'écarlate,
ils deviendront comme la neige.
S'ils sont rouges comme le vermillon,
ils deviendront blancs comme la laine.
(Is 1, 16-18)
La pénitence vise à éliminer la cause de la faute commise, et à ne pas la renouveler. Le pénitent s'engage à cela et, avant de recevoir le pardon de Dieu par l'entremise du prêtre, il dit à mi-voix la prière que voici, qu'on nomme acte de contrition:
  < mon Dieu, j'ai un très grand regret de t'avoir offensé, parce que tu es infiniment bon et que le péché te déplaît. Je prends la ferme résolution, avec le secours de ta grâce, de ne plus t'offenser et de faire pénitence.>
Tu as noté sans aucun doute l'exigence exprimée par trois mots:  la ferme résolution. Cela signifie que le pénitent s'engage à ne plus commettre la faute pour laquelle il demande pardon à Dieu. Ce n'est pas rien, car en se présentant à un prêtre pour demander à recevoir le sacrement de réconciliation, le pénitent doit avoir présent à l'esprit cet engagement. A-t-il vraiment l'intention de ne plus recommencer?
La pénitence nous conduit à la conversion à laquelle le Christ nous a tous appelés : "Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle" [Mc 1, 15]."

Candide observa un long moment de silence, comme à son habitude.

-"Je crois avoir bien saisi le sens de la cérémonie des cendres. Si on ne s'y prépare pas, on passe à côté de l'essentiel. Prier Dieu dans le silence de notre chambre [quand tu pries, retire-toi au fond de ta maison, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père voit ce que tu fais dans le secret; [Mt 6,6], examiner notre vie."
-"C'est bien cela… Mais ce n'est pas tout:  la cérémonie des Cendres nous invite à revenir à Dieu, à faire pénitence et à nous convertir. J'attire ton attention sur un point très important:   faire  pénitence implique  trois principes majeurs et fondamentaux pour le chrétien qui sont  la prière, l'aumône et le jeûne.
         Sans entrer dans des considérations morbides qui n'ont pas leur place en cette célébration, le rite de la célébration du jour des cendres nous rappelle que nous devons mourir un jour, que le monde actuel est un monde passager, et que nous sommes appelés à une autre vie qui ne passera pas. <Souviens-toi que tu es poussière, et que tu retourneras en poussière>: bien sûr, tout le monde sait cela, mais le chrétien sait aussi que la mort n'est qu'un passage vers une autre vie, une re-naissance, une vie éternelle en présence de Dieu."
Marie-Madeleine

            Le Père Stanislas était entré dans la pièce où se tenaient Théophile et Candide. Il s'était assis discrètement dans un coin, sans troubler l'entretien. Candide, à nouveau, s'était retirée dans ses pensées. Quand elle en sortit, le Père intervint: "Ma chère Candide, je suis heureux de constater le sérieux que tu manifestes pour découvrir la foi chrétienne. Si vous le permettez, mes amis, je voudrais ajouter quelques mots."
Candide et Théophile approuvèrent.
-"Voilà. Le carême ramène le chrétien à ses obligations envers ses frères en humanité. La pénitence ne se vit pas que  le jour des cendres. Elle se vit chaque jour. Il en découle pour le chrétien trois obligations, qu'il accomplira sans difficulté, si sa conversion est profonde et sincère. C'est dans l'évangile de Matthieu, au chapitre 6, versets 1 à 18, que se trouve la mention de ces obligations: faire l'aumône, prier et jeûner.
Il y a quelques jours, Théophile, pour définir les obligations du carême, tu as utilisé une expression me rappelant un livre de Lawrence d'Arabie: les sept piliers de la sagesse. Toi, tu as parlé des  quatre piliers du carême. Tu pensais à ce livre?"
-"Non, pas du tout. Non, vraiment: c'était juste pour marquer l'unité de la démarche de carême : pénitence, aumône, prière et jeûne."
-"Bien… Bonne inspiration. Outre la pénitence proprement dite qui est la recherche de nos manquements à la Parole de Dieu et tout particulièrement à l'enseignement du Christ, et qui conduit à prendre la ferme résolution de se convertir, c'est-à-dire de changer radicalement l'orientation de notre vie (je reprends tes propres mots), aumône  prière et jeûne sont les composantes de la pénitence dite <quotidienne>. Dans le livre de Tobie, l'ange s'adresse ainsi à Tobie et à son fils:
6 … Bénissez le Dieu du ciel, célébrez-le devant tous les vivants, parce qu'il vous a comblés de sa miséricorde. 7 En effet, il est bon de tenir cachés les secrets des rois, mais il est glorieux de révéler et de célébrer les œuvres de Dieu. 8 La prière, avec le jeûne et l'aumône, vaut mieux que des monceaux d'or. 9 Car l'aumône délivre de la mort, elle purifie des péchés, elle fait obtenir la miséricorde et la vie éternelle. [To 12, 6-9]
paroles que Matthieu a développées en son chapitre 6 (vv. 1-18), en recommandant de n'y mettre aucune ostentation, sinon l'intention est corrompue et perd toute valeur. Il s'agit d'actes concrets. Le carême est le moment de l'année le plus important pour notre sanctification, où Jésus nous rappelle avec insistance que le plus important n'est pas dans les actes extérieurs. Ce qui compte c'est la manière de les vivre, c'est l'intention de notre coeur.
Le carême est un temps fort de conversion intérieure, de purification, de lutte, c'est le moment de nous rappeler que pour suivre Jésus, il nous faut cheminer, progresser, sans cesse ..."
Théophile et Candide écoutaient attentivement le Père Stanislas, qui poursuivit: "L'aumône. Jésus a magnifié le moindre verre d'eau donné à un petit en son nom, et l'obole de la veuve : Il veut nous entraîner dans une religion d'amour où il s'agit de plaire à Dieu plutôt qu'aux hommes. L'aumône n'est pas un simple don à un pauvre, don d'argent ou de nourriture, mais aussi, et dans un esprit plus large, un don destiné à aider le pauvre à s'ouvrir les voies de sa liberté économique. N'oublions pas d'ailleurs que, selon la première béatitude, à côté de la pauvreté matérielle existent une pauvreté morale et une pauvreté spirituelle. Donc l'aumône peut prendre des dimensions inattendues.
Il nous arrive trop souvent d'avoir une intention qui n'est pas tout à fait pure : quand nous faisons quelque chose de bien, nous en tirons satisfaction!
La prière exige une attitude d'humilité : c'est bien là que nous pouvons, si nous sommes vrais, expérimenter notre faiblesse radicale. Par nous-mêmes, nous sommes incapables de nous convertir : seul le contact avec notre Sauveur, avec notre Père, avec l'Esprit Saint peut nous changer, nous sanctifier.  Il faut avoir compris cela pour que notre prière ne soit plus seulement un rite, mais devienne une vraie relation d'amour avec Dieu. il s'agit d'atteindre à une dimension plus étroite dans le cœur à cœur avec Dieu. La prière est un exercice difficile, qui demande de la persévérance, de la confiance, de la sincérité. La prière revêt des formes très diverses. Chaque événement, chaque rencontre peuvent nous inciter à prier, et plus nous vivons en union profonde avec le Christ, mieux nous comprenons ce qui se passe autour de nous. La prière chrétienne se fait dans une disposition de foi, d'espérance et de charité [Cf. 1 Co 13, 1-13]: elle est persévérante et s'en remet à Dieu.

Quant au jeûne, il y a beaucoup de manières de le pratiquer, car il y a des privations de toutes sortes.  Le jeûne est une privation volontaire de certains aliments, mais pas seulement; par exemple, moins de télé, moins de futilités qui encombrent notre vie et nous éloignent de Dieu. Le jeûne contribue à nous faire acquérir la maîtrise sur nos instincts et la liberté du cœur.

Mes amis, pendant le carême, soyons des pénitents joyeux, des pénitents d'amour, qui en tout cherchent uniquement à être toujours plus près de Jésus.
Chère Candide, je vous invite à acquérir un petit livre, le catéchisme de l'Église catholique pour les jeunes, youcat, qui est une initiative due au  pape Benoît XVI. Il vous apportera beaucoup.
Voilà ce que je tenais à ajouter."
-"Père, un grand merci. Je pense que Candide a de quoi méditer pour les jours à venir… Moi aussi, d'ailleurs."
-"Oh! oui" ne put s'empêcher de dire Candide.
Tandis que Candide rangeait ses notes dans son sac, le Père Stanislas et Théophile échangèrent un regard complice. Le Père s'adressa alors à Candide : "Amie Candide, nous t'avons accablée de notre discours. Tout doit te sembler difficile et austère? Non?"
-"À vrai dire, oui … C'est un peu décourageant… Je mesure qu'il me reste un long chemin à parcourir avant d'oser espérer le baptême. Mais! Bon. Je m'accroche."
-"Alors, pour te rendre des forces et de la joie, acceptes-tu de déjeuner avec nous? Marthe, une paroissienne bénévole, a préparé un bon repas. C'est un vrai cordon bleu. Cuisine simple, mais excellente! Alors?"
Candide fit semblant d'hésiter, et "Alors? … C'est OUI !"
-"Bravo! À table!"
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Proposition de méditation
Office du Mercredi des Cendres

« Si vous voulez vivre comme des justes, évitez d'agir devant les hommes pour vous faire remarquer. Autrement, il n'y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux. Ainsi, quand tu fais l'aumône, ne fais pas sonner de la trompette devant toi, comme ceux qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont touché leur récompense. Mais toi, quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que donne ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père voit ce que tu fais dans le secret : il te le revaudra.
Et quand vous priez, ne soyez pas comme ceux qui se donnent en spectacle : quand ils font leurs prières, ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et les carrefours pour bien se montrer aux hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont touché leur récompense. Mais toi, quand tu pries, retire-toi au fond de ta maison, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père voit ce que tu fais dans le secret : il te le revaudra.
Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme ceux qui se donnent en spectacle : ils se composent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu'ils jeûnent. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont touché leur récompense. Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père voit ce que tu fais dans le secret : il te le revaudra.
(Mt 6,1-6.16-18)
Méditation
S’adressant aux Corinthiens, Paul leur déclarait : « Au nom du Christ, nous vous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5,20). Paul prenait le relais de la demande de Jésus à entrer dans le Royaume de Dieu.
Et aujourd’hui, comme toujours depuis les débuts de son enseignement, Jésus nous appelle à la conversion, c’est-à-dire à un retournement complet sur nous-mêmes, à la remise en cause de notre vie et du sens que nous voulons lui donner. L’appel du Christ est la partie fondamentale de l’annonce du Royaume: " Les temps sont accomplis et le Royaume de Dieu est tout proche ; repentez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle " (Mc 1,15).
Dans la prédication de l’Église, cet appel s’adresse d’abord à ceux qui ne connaissent pas encore le Christ et son Évangile. Aussi, le baptême est-il le lieu principal de la conversion première et fondamentale. C’est par la foi en la Bonne Nouvelle et par le baptême que l’on renonce au mal et qu’on acquiert le salut, c’est-à-dire la rémission de tous les péchés et le don de la vie nouvelle ici-bas et plus tard auprès du Père quand notre vie terrestre sera achevée.  Nous citons Saint Paul:
 « Convertissez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus Christ pour obtenir le pardon de ses péchés. Vous recevrez alors le don du Saint-Esprit. 39 C'est pour vous que Dieu a fait cette promesse, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, tous ceux que le Seigneur notre Dieu appellera." (Ac 2,38-39)
Aujourd’hui et de manière encore plus pressante, l’appel du Christ à la conversion continue à retentir dans la vie des chrétiens. Cette seconde conversion est une tâche ininterrompue pour toute l’Église. C’est un appel à se purifier, et à poursuivre sans faiblir nos efforts de pénitence et de renouvellement. Cet effort de conversion nous conduit à répondre à l’amour miséricordieux de Dieu qui nous a aimés le premier (cf. 1 Jn 4, 10).
Le carême est le temps de la préparation des catéchumènes aux sacrements du baptême et de l'eucharistie, célébrés au cours de la veillée pascale. Mais le carême est le temps du devenir chrétien, lequel ne se réalise pas en un unique moment, mais exige un long parcours de conversion et de renouvellement.
Pour l’imposition des cendres sur le front, le célébrant nous dit «Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière » (Gn 3,19), ou bien, répétant l'exhortation de Jésus, « Convertissez-vous et croyez à l'Évangile » (Mt 1,15). Les deux formulations constituent un unique rappel à la vérité de l'existence humaine : nous sommes des créatures limitées, des pécheurs toujours en besoin de pénitence et de conversion. Il est important à notre époque si difficile et si démunie de spiritualité d'écouter et d'accueillir ce rappel. Se convertir signifie se laisser conquérir par Jésus (Ph 3,12) et, avec lui, retourner au Père. La conversion implique ainsi de se mettre humblement à l'école de Jésus, et de marcher sur ses traces.

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Prochain texte
le 4 mars 2017
1er dimanche de Carême

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Illustrations
Rembrandt - Pénitent
Caravage - Marie Madeleine

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Chers lecteurs, si vous avez des remarques, des observations ou des questions, écrivez-moi à l'adresse jacques.choquet2@orange.fr
À suivre chaque dimanche … si vous le voulez bien.

Le  23 février 2017

mercredi 15 février 2017

La maladie peut-elle être source d'isolement?




Les entretiens du dimanche
23
La maladie peut-elle être source d'isolement ?

         Lors d'un entretien précédent, Louis était venu se joindre à nos amis. Sans que Théophile le sache, Louis avait demandé un conseil au Père Stanislas à propos de la situation difficile que lui et son épouse vivaient. Son épouse est atteinte d'une maladie dégénérative, et lui-même est malade et très fatigué. Louis est résolument opposé à l'idée de mettre son épouse en maison de santé ou d'accueil, car il a vécu une expérience peu rassurante avec son frère, aujourd'hui décédé. Tout cela lui crée bien des soucis et il n'envisage pas l'avenir avec sérénité.
         Le Père Stanislas avait réfléchi à tout cela, et il en avait parlé à Théophile. Aussi, tous deux avaient-ils décidé de demander à une paroissienne de venir leur parler des conséquences de la maladie sur la vie quotidienne, et en particulier sur celle d'un couple confronté à la solitude. Myriam, tel est son prénom, a accepté et ce dimanche elle participera à l'entretien de Théophile avec Candide, auquel se joindra le Père Stanislas.
         Les situations évoquées dans cet entretien sont réelles; elles ont été vécues par l'auteur et son épouse. Aujourd'hui encore, ils vivent une situation difficile qui dure depuis cinq ans et n'offre aucune perspective d'amélioration. L'expérience acquise est plutôt attristante.

*****

Candide arriva, toujours aussi dynamique, et en vélo malgré le froid.
-"Bonjour à tous." lança-t-elle, avec un beau sourire.
-"Bonjour Candide. Tu connais le Père Stanislas. Je te présente Myriam: elle est mariée, elle a quatre enfants qui l'occupent beaucoup, et malgré ses occupations familiales, elle est bénévole dans un groupe de la paroisse qui a en charge les malades et les pauvres. Autant te dire qu'elle est très occupée, mais heureusement aussi très organisée!"
-"Ravie de vous connaître" lui dit Candide en la saluant.
-"Moi de même. Le Père Stanislas et Théophile m'ont un peu parlé de vous. J'admire votre courage et votre persévérance." ce qui fit légèrement rougir de plaisir notre amie Candide.

Le Père annonça le programme de l'entretien, en s'adressant à Candide: "Candide, nous avons souhaité parler aujourd'hui d'une activité charitable de notre paroisse. C'est pourquoi nous avons demandé à Myriam de participer à notre réunion. Comme Théophile l'a dit, Myriam agit au sein d'un petit groupe de bénévoles qui visitent les malades qu'on nous signale et vient en aide aux pauvres, autant que nos moyens nous le permettent.
Il prit sa bible, l'ouvrit en Matthieu.
Le Christ a dit à ses apôtres et ses disciples des paroles qui guident notre action. Je cite:
"… 'Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde. Car j'avais faim, et vous m'avez donné à manger ; j'avais soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger, et vous m'avez accueilli ; j'étais nu, et vous m'avez habillé ; j'étais malade, et vous m'avez visité ; j'étais en prison, et vous êtes venus jusqu'à moi ! … Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait." [Mt 25, 34-40]
Le bon Samaritain

Aujourd'hui, nous mettrons l'accent sur la maladie, et tout particulièrement sur un aspect inquiétant que soulève la question que voilà: la maladie peut-elle être une source d'isolement?
Il se tourna vers Candide, et lui demanda si cela l'intéresserait. Elle répondit oui. Il fit un signe à Théophile.
Théophile, veux-tu engager l'entretien?"
-"Oui, bien sûr. C'est la situation familiale vécue par notre ami Louis qui nous a amené à poser cette question.
         La maladie est entrée dans sa vie, il y a cinq ans maintenant. Un accident vasculaire cérébral (AVC) a frappé son épouse. Il a des effets durables sur sa santé, et l'avenir s'annonce très sombre, car des examens approfondis ont permis d'établir un diagnostic qui ne laisse aucun espoir d'amélioration.
Les étapes de la dégénérescence sont prévisibles : leurs durées respectives relèvent de la plus grande incertitude.
En cinq ans, rien ne lui a été épargné : une chute avec quatre fractures, zona, hémorragie nasale effrayante entraînant une baisse anormale des globules rouges pendant plusieurs mois. Il y a trois ans, on constata un très fort affaiblissement de la motricité des membres inférieurs, la marche devint lente, mal assurée et très pénible. Aujourd'hui, elle est incapable de marcher plus de dix pas, encore faut-il qu'elle soit aidée. Quant à la mémoire, elle est quelquefois extrêmement défaillante, et la compréhension des propos qu'on lui tient est incertaine. Un état dépressif semble s'installer parfois, quand cet être cher prend conscience de son état.
Dans ces conditions, un malade et son entourage manifestent de façon variable leur inquiétude. Pourquoi un tel acharnement du sort ? Et Dieu dans tout cela ? Comment la foi chrétienne peut-elle permettre de vivre et de surmonter de telles situations ? Comment résister au désespoir et ne pas perdre toute espérance en Dieu et dans la vie ? Comment exercer la charité au sein du couple ? Et que deviennent les relations sociales?
Théophile se tourna vers Myriam.
-"Myriam, qu'en penses-tu?"
-" Hélas ! C'est bien ce que notre groupe constate. Aborder avec sérieux la maladie et la souffrance exige d'avoir vécu intensément, au moins une fois dans sa propre chair ou dans ses affections, la maladie grave et la souffrance qui en découle. Pour nous qui côtoyons des situations difficiles, commencent à se révéler leurs conséquences : physiques nerveuses morales et spirituelles.
En effet, la maladie, surtout si elle est grave, s'accompagne souvent de souffrances, plus ou moins vives, aux manifestations très diverses. Par souffrance, on entend généralement un état physique ou mental, ou les deux à la fois, où la personne malade doit supporter des douleurs pénibles, voire intolérables, aussi bien dans son corps que dans son esprit, pour un temps limité ou non.
Mais la souffrance d'une personne malade n'épargne pas son entourage : la vie affective, sociale, et professionnelle s'en trouve souvent bouleversée, avec le cortège de ses développements moraux, voire religieux. La vie en société en est affectée, et il n'est pas rare de voir se rétrécir comme une peau de chagrin le cercle des amis et des relations. La souffrance entraîne aussi des obligations matérielles et financières, qui peuvent se révéler insurmontables.
Il m'apparaît que cela correspond bien au cas de votre ami Louis, que le Père m'a rapporté."
Le Père reprit la parole : "La maladie grave soulève trois questions: pourquoi?.., pourquoi moi ?…, pourquoi j'en suis là ? …, bientôt suivies par la question : comment vivre avec ? … Plusieurs conditions sont indispensables pour affronter la vie: lucidité du malade et de son entourage, réserves des médecins quant à l'issue heureuse de la maladie, aptitude des techniques médicales à guérir la maladie, atténuer ses effets, et en supprimer la cause.
Pourquoi ? C'est une question sur les causes de la maladie : c'est en même temps une question sur la réalité de la maladie dans notre monde, et en définitive sur le sens de la vie.
Par exemple, dans la Bible, le livre de Job constate que le mal frappe en aveugle, sans faire de différence entre bons et méchants. Il y donne quatre exemples dont la source est d'origine humaine comme un acte terroriste, ou d'origine naturelle comme un séisme par exemple. Et même, comme dit Job, bien souvent les méchants restent en vie, alors que les innocents en sont les premières victimes. Ainsi défini, le mal est un scandale, et la maladie et la souffrance qui relèvent de la nature humaine font bien partie du mal. C'est ainsi, quand on n'a pas réellement souffert, que nos explications s'effondrent devant la réalité, quand le mal nous saute à la figure. Henri Bergson (1859-1941) faisait justement remarquer:
"Le philosophe (ou le scientifique) peut se plaire à des spéculations de ce genre dans la solitude de son cabinet : qu'en pensera-t-il, devant une mère qui vient de voir mourir son enfant ? Non, la souffrance est une terrible réalité, et c'est un optimisme insoutenable que celui qui définit a priori le mal, même réduit à ce qu'il est effectivement, comme un moindre bien."

Quand nous sommes malades, nous faisons l'expérience de notre fragilité: nous la vivons presque toujours dans notre famille, dès l’enfance, puis surtout en tant que personnes âgées, lorsque nous devenons plus ou moins dépendants. La maladie des personnes que nous aimons est vécue avec une souffrance personnelle, quelquefois avec angoisse. C’est l’amour qui nous fait ressentir l'acuité de ce "pourquoi?"
Un temps de silence s'installa. Candide semblait tout étonnée de découvrir cet aspect de l'engagement chrétien au service des malades.
Myriam rompit ce silence. "Il faut bien convenir que le malade qui souffre peut être tenté de regarder ceux qui sont en bonne santé avec envie, trouvant dans son entourage bien portant une source d'injustice : <pourquoi moi ?>.
"Eux, pourquoi échappent-ils à ce qui me frappe ?" Question qui montre bien la profondeur de la détresse du malade. Être frappé en notre corps, quand autour de nous s'agitent des êtres sans souffrance, est inévitablement ressenti comme une injustice surtout si la maladie est grave: "J'ai toujours vécu sobrement, sans faire d'excès d'aucune sorte, j'ai fait du sport…, et voyez celui-là (ou celle-là) qui se porte comme un charme alors qu'il mène une vie de patachon et d'excès ! L'alcool, le tabac, et le reste… alors que moi…"
Bien sûr, une telle attitude se comprend. Pour le malade, son avenir dépend des réponses qu'apportera son entourage."
-Le Père intervint: "Le rôle de l'entourage est très important en effet. Mais avant de consacrer quelques instants à cela, Myriam, pouvez-vous nous dire ce que votre expérience vous suggère aux deux questions qui restent : pourquoi j'en suis là ?… Et comment vivre avec ?"

Myriam réfléchit quelques instants puis elle poursuivit: "Quand la maladie se prolonge, l'avenir s'assombrit, il est incertain; la médecine reste plus ou moins évasive, l'entourage se montre réconfortant, plus ou moins adroitement, l'atteinte à la santé est perçue comme irréversible. Que pense le malade de tout cela? … Je crois que Théophile pourrait nous éclairer? Théophile?"
-" Oui, oui, je vais essayer. Je vous livre une découverte me concernant directement. Ayant eu une maladie, somme toute ordinaire, guérissable sans trop de difficulté, une analyse génétique fut cependant jugée indispensable pour préciser le diagnostic et préserver l'avenir. Elle a révélé, sans doute possible, que je suis porteur d'un gène redoutable : il est en moi, comme un ennemi très dangereux, menaçant chaque instant ma vie. D'où vient-il ? Mystère. Mystère de la vie. Cette découverte a changé mon regard sur la vie. Jusque-là je n'avais rien eu de bien terrible, et voilà qu'en moi il y a comme une sorte de bombe à retardement, qui peut se déclencher n'importe quand, n'importe où, mais qui menace sans contestation ma vie ; c'est le supplice de l'épée de Damoclès ! Cela m'a conduit à réexaminer ma manière de vivre, ma manière d'aimer les miens, à me soucier des conséquences sur le mode de vie des miens au cas où cette bombe exploserait. Et tout naturellement, cette découverte m'a conduit à me poser la question : comment vivre avec !
         "Comment vivre avec?" quand il n'y a plus d'espoir de retrouver l'état de santé antérieur ou quand une marche arrière est impossible comme pour moi.  La guérison totale n'étant plus envisageable, l'organisation d'un nouveau mode de vie doit être mise en place. Cela se fera-t-il sans bouleversement notable ? Faut-il se résoudre à vivre en maison d'accueil spécialisée ? Quelles incidences financières cela va-t-il avoir ? Comment la famille et les amis accepteront-ils ce changement ? Et pour mon travail ? Comment envisager la vie du malade au milieu de son entourage proche, et de la société en général?"
         -" C'est certain. Tout est bouleversé, approuva Myriam. Voilà autant de questions, et bien d'autres sans doute, qui ne vont pas contribuer à faciliter la vie du malade ni celle de son entourage, et qui, dans l'immédiat, peuvent conduire à des moments très pénibles de découragement et de peur de l'avenir.
On parle beaucoup de solidarité, rarement de charité, on parle, on parle ... mais notre monde est un monde indifférent, sauf rares exceptions, trop rares. Et le pire est encore à venir: le cercle des relations s'amenuise, et le malade et son entourage proche vont se trouver plongés dans la solitude, et pour finir dans l'isolement."

-"Et Dieu, dans tout cela? demanda Théophile. La maladie de l'épouse handicapée de Louis, femme qui peu à peu s'affaiblit en chair et en esprit, me fait penser à Job et à ses "chers" amis, à ceux que le psaume [40(41),7] évoque: <Si quelqu'un vient me voir, ses propos sont vides>. Tout cela n'est guère réconfortant."
"Permettez-moi de vous poser une question, Myriam. Avez-vous eu connaissance de cas de maltraitance?"
-"Directement? … Non, mais la maltraitance couvre des degrés variés.
Pour bien saisir le mécanisme qui conduit à la maltraitance, il faut comprendre le rôle que doit tenir l'entourage du malade, entourage qui peut ressentir les mêmes douleurs morales et spirituelles que le malade. C'est ainsi que le regard joue un rôle primordial entre le malade et son entourage.
Je n'ai pas compétence pour m'exprimer dans le domaine de la médecine. Tout être humain est appelé à souffrir dans sa vie, et cela de façon très personnelle.
Dans une situation de souffrance, il y a deux catégories de personnes qui sont concernées: le souffrant (pardonnez-moi ce substantif nouveau) bien évidemment, mais aussi l'entourage, famille, amis, compagnons de travail, et le (ou les) médecin. On peut concevoir que chacun de ces protagonistes réagira différemment selon sa culture, sa philosophie de la vie, sa religion, et sa morale. On peut concevoir aisément que si le souffrant est gagné à un certain moment par le découragement et la lassitude, avec peut-être la tentation de «tout laisser tomber», il en va de même pour son entourage proche et ses amis ou connaissances. Combien de malades, atteints de maladie grave, constatent amèrement le vide progressif qui se fait autour d'eux ! La solitude laisse alors la place à l'isolement social.
Le malade peut prendre plus ou moins conscience de la dégradation de son état. Il ressent alors une intense douleur morale et spirituelle, et aussi l'humiliation de ne plus être autonome. Son inutilité et sa dépendance sont pour lui un lourd fardeau. Son entourage se trouve placé dans les mêmes conditions. Certaines situations transforment la vie ordinaire en enfer quotidien, comme par exemple pour celui qui a la charge directe du malade, celui qu'aujourd'hui on appelle «aidant». À ce propos, savez-vous qu'en France un aidant sur trois meurt d'épuisement avant celui qui l'aide ? [Cette remarque jeta la consternation dans le petit groupe.]

         Myriam poursuivit : "Dans la souffrance, l’être de chair, d’esprit et d'âme qu'est l'être humain, engage un combat contre la souffrance, mais aussi contre lui-même. Les psychologues savent bien que la maladie a des répercussions sur l’être psychique. À l’inverse, une souffrance psychique va se répercuter sur l’être physique. L’engrenage des souffrances vient de naître. Quand l’être psychique est atteint, tout devient possible, jusqu’à la dépression, voire l’autodestruction.
Ainsi, la fatigue, l'épuisement physique et moral, l'avenir sans espérance, voilà les conditions réunies pour que survienne la maltraitance."
Myriam se tut un long moment. Tous respectèrent son silence, car tous savaient qu'elle avait vécu des instants poignants. Enfin, elle reprit son exposé:
         "La maltraitance. De quoi s'agit-il et comment se manifeste-t-elle? Souvent, les personnes maltraitantes n’ont pas conscience de porter atteinte au malade ou à la personne handicapée. Au-delà de la violence visible, c'est-à-dire la maltraitance physique, ou financière (abus de la faiblesse de la personne pour lui soutirer de l’argent), ce sont les petits «mauvais traitements » de la vie courante qui pèsent sur les malades. Il existe, hélas, une violence plus difficilement identifiable qui semble regrouper la majorité des cas de maltraitance. Il s’agit de la négligence au quotidien qui altère le bien-être des malades et handicapés, principalement des plus âgés. On les appelle "maltraitances par inadvertance": citons l'indifférence plus ou moins volontaire envers le malade, le non-respect de l’intimité de la personne, les humiliations, le manque d’hygiène. Ces maltraitances sont rarement le fait de personnes foncièrement méchantes, et souvent ces personnes n’ont pas conscience de la portée et des conséquences de leur comportement sur l'état du malade et l'évolution de sa maladie. Il faut, bien au contraire, maintenir une attention aimante et constante de la part de l'entourage.
Où commence la maltraitance? Menacer d’une privation quelconque, est-ce du chantage, une maltraitance psychologique, ou la seule solution trouvée pour qu’une personne accepte de se nourrir par exemple? Il faut bien être conscient que la "petite maltraitance" peut évoluer et dégénérer en violence, et dans les situation les plus graves atteindre le stade de la cruauté, même si celui qui l'exerce n'en est pas forcément conscient."
- Le Père, Théophile et Candide s'écrièrent, tous ensemble : "Ce que vous nous dites est effrayant! Est-ce vraiment possible, Myriam?"
-" Oui, hélas ... Dans cette spirale de souffrances, l'entourage ne peut pas seulement se contenter d'assister à l'évolution des choses; il doit prendre conscience que lui-même est engagé dans le combat, quoi qu'il lui en coûte. Tout membre de l'entourage, qui aime vraiment celui qui souffre, souffre également ; quelquefois, voir souffrir un malade sans pouvoir soulager sa souffrance provoque une souffrance aux limites du tolérable.
Dans le regard du malade, on discerne souvent comme un appel au secours, mais aussi la peur d'être abandonné, la souffrance aussi de se savoir dépendant et de mesurer tous les soucis et difficultés qui résultent de son état pour ceux qui l'assistent. On n'imagine pas l'importance du regard! Savoir déchiffrer un regard est chose difficile."
Très émue, au bord des larmes, Myriam se tut à nouveau … elle se ressaisit et continua son propos :
"Lorsque l'entourage parvient à un profond état de découragement, de révolte même, il doit prendre conscience que des situations de maltraitance, de son fait, peuvent survenir à brève échéance. Il faudra se résoudre alors à placer le malade en établissement spécialisé, ce qui est de plus en plus difficile, vu le nombre insuffisant de places. Et pire, malheur à ceux qui ne sont plus autonomes! Des institutions, même parmi les plus charitables, se refusent à accueillir des personnes non autonomes, surtout les plus âgées; j'en ai fait la triste expérience.
         Comment préparer celui qui souffre à vivre cette séparation ? La famille elle-même ne sera sans pas exempte de subir et de partager cette souffrance ; le sentiment de ne pas avoir fait tout ce qu'il y avait à faire pourra engendrer des regrets insupportables. Il en est de même quand la mort provoque l'irréparable séparation.
Voilà ce que je peux vous dire, ce que je tire de mon expérience de bénévole au service des malades."
-"Merci, Myriam. J'ai rarement entendu parler de la maladie en ces termes, précisa le Père Stanislas. Se tournant vers les participants: "Alors, quelle réponse pouvons-nous donner à la question qui nous préoccupe: la maladie peut-elle être une source d'isolement?"
Chacun s'exprima, et la réponse fut un oui général.
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Prolongement donné à cet entretien

En effet, dans les cas de maladie grave ou de longue durée, un vide progressif se crée autour du malade et de son "aidant". Mais ce "vide" comprend deux niveaux: la solitude d'une part, l'isolement social d'autre part. Précisons ce que recouvrent ces deux concepts.

La solitude est l'état, ponctuel ou durable, d'un individu qui n’est engagé dans aucun rapport avec autrui. Être seul, c'est être isolé du reste de la société. La solitude n'a pas le même sens selon qu'elle est choisie ou subie. La solitude est une souffrance véritable lorsqu'elle n'est pas choisie. Il y a pire: c'est le cas d'un individu qui se sent seul même lorsqu'il est entouré, car on peut être seul au sein d'un groupe amical ou familial. La solitude semblerait s'être intensifiée au fil de la modernisation. Dans les sociétés développées, la solitude s'est largement répandue parmi une catégorie d'individus, les séniors, qui sont particulièrement vulnérables. Vulnérables par la baisse de leurs capacités physiques et intellectuelles liées à l'âge. Vulnérables également par les agissements d'une frange de la société moderne: les délinquants et les criminels, dont la télévision et les journaux relatent presque quotidiennement leurs méfaits.
L'isolement social désigne un manque d'interactions sociales en raison de divers facteurs psychologiques et physiques. Cette situation survient lorsqu'un individu présente un lourd handicap physique ou intellectuel, ainsi que dans le cas de certaines maladies. Certains membres de l'entourage du malade, des amis et des connaissances prennent leurs distances: visites de plus en plus espacées, téléphone silencieux, courrier rare. Ces personnes ne mesurent pas, hélas, les conséquences de leur comportement qui peuvent être dramatiques: anxiété, peur panique, troubles alimentaires, etc. L'isolement social peut entraîner des risques médicaux et psychiques, et d'autres risques plus ou moins nocifs pour la santé. Pourquoi ce comportement? Peur de la contagion? Peur de ne pas savoir quoi dire au malade? Indifférence, manque de charité, coeur sec, quoi encore?
On voit donc que la solitude et l'isolement social sont lourds de conséquences néfastes pour le malade plus ou moins atteint, plus ou moins durablement souffrant. L'aidant lui-même est victime de la solitude et de l'isolement social. Le malade et l'aidant sont en quelque sorte rejetés, ils deviennent des déchets selon l'expression très forte du pape François (voir ci-après). Ce rejet peut avoir un effet négatif, particulièrement d'ordre psychologique tel qu'une faible estime de soi, voire une dépression. Cela peut également entraîner un sentiment d’insécurité et une haute sensibilité morale à de futurs rejets.
Nous voulons citer ici les propos du pape François:
Dans son exhortation apostolique "Evangelii gaudium", le pape François écrit:
Non à une économie de l’exclusion
53. De même que le commandement de “ne pas tuer” pose une limite claire pour assurer la valeur de la vie humaine, aujourd’hui, nous devons dire “non à une économie de l’exclusion et de la disparité sociale”. Une telle économie tue ... Aujourd’hui, tout entre dans le jeu de la compétitivité et de la loi du plus fort, où le puissant mange le plus faible. Comme conséquence de cette situation, de grandes masses de population se voient exclues et marginalisées : sans travail, sans perspectives, sans voies de sortie. On considère l’être humain en lui-même comme un bien de consommation, qu’on peut utiliser et ensuite jeter. Nous avons mis en route la culture du “déchet” qui est même promue ... Les exclus ne sont pas des "exploités", mais des déchets, "des restes".

Et plus loin, le pape poursuit:
75. Nous ne pouvons ignorer que dans les villes le trafic de drogue et de personnes, l’abus et l’exploitation de mineurs, l’abandon des personnes âgées et malades, diverses formes de corruption et de criminalité augmentent facilement.
Que voilà de terrifiants rapprochements de situation!
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Prochain texte
le 25 février 2017
Le Mercredi des cendres
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Illustration
Rembrandt - Le bon Samaritain

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À suivre chaque dimanche … si vous le voulez bien.
Le 15 février 2017