vendredi 28 avril 2017


"Venez à moi et je vous soulagerais" (2)


Mt 11, 28-30
28 “Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. 29 Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos. 30 Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger.”

L'absence de Candide permet à Théophile de préciser sa réflexion sur la maladie et ses conséquences; en effet, ce sujet lui tient à cœur, car lui-même et son ami Louis sont confrontés à une situation personnelle préoccupante du fait de la maladie de leurs épouses.
Aujourd'hui, c'est la suite de cette réflexion que nous vous livrons, et que nous conclurons  dimanche prochain.
            Nota des difficultés techniques d'origine inconnue ne me permettent pas d'afficher des illustrations. 

Face à la maladie
Des comportements
Entourage, maltraitance, isolement social

Positions diverses face à la maladie
Dans une maladie, l'entourage peut ressentir les mêmes douleurs morales et spirituelles que le malade. C'est ainsi que le regard joue le même rôle chez le malade et son entourage.
Le malade peut prendre plus ou moins conscience de la dégradation de son état, même dans le cas de maladie dégénérative. Il ressent alors une intense douleur morale et spirituelle, et aussi l'humiliation de ne plus être autonome. Son inutilité et sa dépendance  sont pour lui un lourd fardeau. Son entourage se trouve placé dans les mêmes conditions. Dans le cas de maladie dégénérative, la douleur morale et spirituelle de l'entourage peut devenir elle aussi insupportable, et engendrer une situation de remords ou de regrets, ou pire de rejet envers le malade, car certaines situations transforment la vie ordinaire en enfer quotidien pour celui qui a la charge du malade, celui qu'aujourd'hui on appelle "aidant", par opposition  au malade, "l'aidé". Dans le cas plus grave de l'assistance continue à un handicapé, physiquement ou psychiquement,  celui qui assure cette aide peut à la longue être victime d'une souffrance morale qui peut atteindre une limite insupportable pour lui-même; un état de fatigue générale s'installe: l'aidant est bien près de s'effondrer. Sait-on  qu'aujourd'hui, en France, un aidant sur trois meurt d'épuisement avant celui qu'il aide?
Il semble évident que l'entourage du malade devra recourir à des aides extérieures spécialisées, très souvent médicales ou paramédicales, aides qui sont onéreuses et peut-être impossibles à supporter financièrement, sauf si l'État ou des organisations caritatives peuvent apporter leur contribution.
Je n'aborde pas volontairement les comportements suicidaires, comme l'alcoolisme, le tabagisme ou la drogue. Ils relèvent en premier stade, dans bien des cas, de l'éducation reçue, bien avant que des modes, des sollicitations mercantiles ou médiatiques ne les transforment en problème de société.
La médecine
Tout être humain est appelé à souffrir dans sa vie, et cela de façon très personnelle. Il est étonnant de constater que la souffrance, quelles qu’en soient les formes, n’a jamais fait l’objet d’une étude globale, à ma connaissance, bien que des disciplines variées s’en soient préoccupées pour en définir la nature, étudier comment elle survient, demeure puis disparaît éventuellement. Quelles en sont les causes ? A-t-elle un sens ? Comment les individus réagissent-ils ? Quels remèdes mettre en œuvre ? Il y a encore quelques années, les facultés de médecine n’enseignaient rien ou presque rien sur la douleur et la souffrance ; j'ai même vécu une expérience rare, celle de recevoir au petit matin mon médecin traitant victime dans la nuit d’une crise de colique néphrétique et qui venait me voir pour s’excuser d’avoir seulement délivré une ordonnance en négligeant de prendre en compte l’intensité de la crise que j'avais eue la veille ! Lui, il avait pris de la morphine, moi je n'avais eu qu'un médicament ordinaire!
La médecine est évidemment en première ligne dans le traitement de la souffrance, mais de plus en plus la philosophie et la psychologie s’y associent, et aussi la religion quelquefois. Dans une situation de souffrance, il y a deux catégories de personnes qui sont concernées : le souffrant (qu'on me pardonne ce néologisme) bien évidemment, mais aussi l’entourage, famille, amis, compagnons de travail, et le (ou les) médecin. On peut concevoir que chacun de ces intervenants réagira différemment, selon sa culture, sa philosophie de la vie, sa religion, et sa morale ; pour le corps médical, s’y ajoutent les compétences.
On peut concevoir aisément que si le souffrant est gagné à un certain moment par le découragement et la lassitude, avec peut-être la tentation de « tout laisser tomber », il en va de même pour l'aidant et l'entourage proche et ses amis ou connaissances. Combien de malades, atteints de maladies graves, constatent amèrement le vide progressif qui se fait autour d’eux ! La solitude laisse la place à l'isolement social. Nous y reviendrons plus loin. Il est donc bien évident que la médecine, toute seule, sera insuffisante et que les disciplines évoquées plus haut devront être appelées en renfort.

Culture, philosophie, morale, et religion
La culture, la philosophie de vie personnelle, la religion, et enfin la morale qui découle de la philosophie et de la religion personnelles, tous ces facteurs jouent un rôle devant la souffrance.
La religion et la morale qui en résulte sont importantes ; par exemple, pour le christianisme, le pauvre et le malade doivent être secourus, mais faire le mal, source de souffrance, est interdit. Le progrès spirituel est aussi source de réactions différentes, par exemple le stoïcisme. Enfin, la perception plus ou moins forte de la finitude de l’homme est aussi un facteur non négligeable.
Religion, morale, recherche scientifique influencent la vie moderne. On le voit bien avec le débat à propos de la légalisation ou non de l’euthanasie, encore que le non-dit pèse lourd en ce débat. C'est le cas également du débat concernant la recherche sur l'embryon humain. Nous reviendrons bientôt, et plus en détail, sur le point de vue chrétien sur la souffrance.

L’entourage: quel est son rôle?
Dans la souffrance, l’être de chair, d’esprit et d’âme qu’est l’être humain, engage un combat contre la souffrance, mais aussi contre lui-même. Les psychologues savent bien que la maladie a des répercussions sur l’être psychique. À l’inverse, une souffrance psychique va se répercuter sur l’être physique. L’engrenage des souffrances vient de naître. Quand l’être psychique est atteint, tout devient possible, jusqu’à la dépression, voire l’autodestruction.
Dans cette spirale de souffrances, l’entourage ne peut pas seulement se contenter d’assister à l’évolution des choses ; il doit prendre conscience que lui-même est engagé dans le combat, quoi qu’il lui en coûte. Tout membre de l’entourage, qui aime vraiment celui qui souffre, souffre également; quelquefois, voir souffrir un malade sans pouvoir soulager sa souffrance provoque une souffrance aux limites du tolérable. Dans le regard de mon épouse handicapée, je discerne souvent comme un appel au secours, mais aussi la peur d'être abandonnée, la souffrance aussi de se savoir dépendante et de mesurer tous les soucis et difficultés qui résultent pour moi de son état. On n'imagine pas l'importance du regard.
Le rôle de l'entourage est essentiel, en ce sens qu'il doit encourager et soutenir le malade, même si les progrès se font attendre, même si la dégradation de la santé du salade semble s'accentuer. Les encouragements sont une nécessité absolue: il faut à tout prix que l'entourage masque son propre découragement: le regard, encore! Ceux qui n'ont pas vécu ces situations difficiles et délicates ne peuvent pas imaginer les répercussions bénéfiques de ces encouragements. Ils n'auront jamais qu'une vision approximative de ce qu'est de vivre 24 heures sur 24 avec un malade handicapé. Et personne n'est en mesure de comprendre la profonde souffrance d'autrui, si lui-même n'a pas souffert.
Si la maladie ne bénéficie d’aucune rémission, si elle s’installe dans la durée avec des degrés de souffrance plus ou moins longs et d'intensité variable, l’entourage va subir une pression si forte qu’il pourra ne plus avoir les forces physiques et spirituelles d’assumer une présence et une aide. Pour bien comprendre cela, prenons une image, celle de la mer attaquant une falaise. Petit à petit, sous les coups de boutoir de la mer, la falaise s'effrite, puis s'effondre. C'est ce qui se passe avec une maladie grave à haut risque; le malade, c'est la mer, avec ses degrés de dégénérescence de plus en plus profonds, et la falaise, c'est l'entourage.
En ce cas, si l’entourage s’obstine, contre vents et marées, si nous osons cette expression, il court le risque de s’épuiser physiquement, psychiquement et intellectuellement, ceci de façon progressive, mais inéluctable. Son obstination est susceptible d’avoir pour lui des conséquences désastreuses, par exemple d’atteindre un état dépressif, ou de réagir avec violence, contre le malade, mais aussi contre lui-même, au risque de perdre tout contrôle sur ses paroles et ses gestes: la maltraitance, dès lors, n'est pas loin. Dans ce cas, cet entourage devra prendre conscience qu’il faut avoir recours à du personnel spécialisé ayant reçu une solide formation ; certes, c’est une décision difficile à prendre parce qu’elle engendre un sentiment d’impuissance envers la personne souffrante, mais elle va finalement dans un sens favorable au malade et à son entourage. 
Lorsque l'entourage parvient à un plus profond état de découragement, de révolte même, il doit prendre conscience que des situations de maltraitance, de son fait, peuvent survenir à brève échéance. Nous allons revenir plus loin sur ce point important. Il faudra se résoudre à placer le malade en établissement spécialisé (ce qui est de plus en plus difficile, vu le nombre insuffisant de places, et aussi le fait que ces établissements renâclent à accueillir une personne qui n'a plus d'autonomie; j'en ai fait récemment l'expérience avec un établissement religieux).
Lorsque la séparation d'avec le malade pour un placement en milieu spécialisé devient inévitable, la souffrance initiale peut être aggravée par une nouvelle souffrance : celle de la séparation. En effet, il arrive que, pour certaines maladies invalidantes, le placement en établissement spécialisé devienne inévitable : comment préparer celui qui souffre à vivre cette séparation ? La famille elle-même ne sera sans doute pas exempte de subir et de partager cette souffrance ; le sentiment de ne pas avoir fait tout ce qu’il y avait à faire pourra engendrer des regrets insupportables, à tort ou à raison. Il en est de même quand la mort provoque l’irréparable séparation.
Enfin, l’entourage du souffrant sera-t-il compatissant ou non, et si oui jusqu’à quel point ? Quelquefois, l'entourage proche est contraint de se montrer ferme, dur et intransigeant, si c'est pour le bien de celui qui souffre. N'arrive-t-il pas que des malades refusent tout ou partie du traitement médical qui leur a été prescrit? Et que dire du refus de s'alimenter correctement pour garder des forces pour affronter la maladie? Se montrer ferme, dur et intransigeant n'est pas facile, mais c'est très souvent nécessaire, sinon vital pour le malade.
Il nous reste à examiner deux points relativement importants: l'hypocondriaque d'abord, et la question difficile qui est de dire ou non la vérité au malade sur son état de santé. L’hypocondriaque est une personne qui est maladivement attentive au moindre signe que lui donne son corps, signe dont elle exagère la signification. Cette personne se croit malade à partir d’une invention ou d’une exagération de symptômes bénins. Le diagnostic rassurant de son médecin est sans effet, la personne ne lui fait pas confiance, et il arrive fréquemment qu’elle change de médecin. Cet état maladif prend de telles proportions que la vie familiale, sociale et professionnelle en est profondément affectée. Il en résulte deux conséquences : la personne peut devenir tellement stressée qu’elle risque la dépression, et l’entourage peu à peu se lasse et devient sourd et indifférent à ses lamentations.
Autre question difficile: faut-il dire au malade la vérité sur son état de santé? Grave et difficile question. Je connais une personne très proche qui garde en mémoire une situation douloureuse qu'elle a vécue. Plus de quarante ans après les évènements, elle manifeste des regrets sincères et profonds de n'avoir pas dit la vérité à sa mère, car à l'époque l'influence autoritaire de son père avait été la plus forte. En réalité, la maladie exerce une influence très forte sur la vie affective et la vie matérielle. Les réactions sont multiples et diverses, aussi bien chez le malade que dans son entourage. Dire ou non la vérité nous semble constituer une décision très difficile, qui doit être mûrie et dont on doit peser les conséquences avec soin; la coopération du corps médical est indispensable. La personnalité du malade joue un rôle important: il y a celui qui a une âme de battant (pour ne pas dire de combattant), il y a celui que la moindre difficulté déprime et abat. C'est l'intérêt du malade qui prime tout, mais qui en est juge, qui est sûr à l'avance de l'effet de la décision de dire la vérité au malade?
La maltraitance
Nous avons fait une brève allusion à la maltraitance. De quoi s'agit-il et comment se manifeste-t-elle?
Souvent, les personnes maltraitantes n’ont pas conscience de porter atteinte au malade ou à la personne handicapée. « Ce crime odieux survient souvent dans le secret des espaces privés, ce qui rend encore plus nécessaire sa dénonciation publique dans les termes les plus forts », a expliqué M. Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU, pour souligner l’importance du sujet. Notons que les cas de maltraitance peuvent être signalés en France sur le numéro d'appel 3977.
Au-delà de la violence visible, c'est-à-dire la maltraitance physique ou financière (abus de la faiblesse de la personne pour lui soutirer de l’argent), ce sont les petits «mauvais traitements » de la vie courante qui pèsent sur les malades. par exemple, il y a un type de violence plus difficilement identifiable qui semble regrouper la majorité des cas de maltraitance. Il s’agit de la négligence au quotidien qui altère le bien-être des malades et handicapés, principalement des plus âgés. On désigne ces cas par l'expression: "maltraitancepar inadvertance » Citons l'indifférence plus ou moins volontaire  envers le malade, le non-respect de l’intimité de la personne, les humiliations, le manque d’hygiène. Ces maltraitances sont rarement le fait de personnes foncièrement méchantes, et souvent ces personnes n’ont pas conscience de la portée et des conséquences de leur comportement sur l'état du malade et l'évolution de sa maladie. Il faut, bien au contraire, maintenir une attention aimante et constante de la part de l'entourage; j'ai personnellement constaté, pour la personne qui m'est confiée, une évolution de la maladie, ralentie, voire freinée. Mais que c'est dur!
Où commence la maltraitance? Menacer d’une privation quelconque, est-ce du chantage, une maltraitance psychologique, ou la seule solution trouvée pour qu’une personne accepte de se nourrir par exemple? Consulter le site du 3977, numéro national, peut se révéler utile pour dissiper le doute. La « petite maltraitance » (!) est le reflet du peu de considération que notre société accorde à l'autre, en particulier aux personnes les plus âgées. Mais, hélas, il faut bien être conscient que la "petite maltraitance" peut évoluer et dégénérer en violence, et dans les situation les plus graves atteindre le stade de la cruauté, même si celui qui l'exerce n'en est pas forcément conscient.

Isolement social, solitude
J'ai évoqué précédemment le vide progressif qui se crée autour du malade. Pour ce "vide", il faut distinguer deux types de situations: la solitude, l'isolement social.
La solitude est l'état, ponctuel ou durable, d'un individu qui n’est engagé dans aucun rapport avec autrui. Être seul, c'est être isolé du reste de la société. La solitude n'a pas le même sens selon qu'elle est choisie ou subie. La solitude est une souffrance véritable lorsqu'elle n'est pas choisie. Il y a pire: c'est le cas d'un individu qui se sent seul même lorsqu'il est entouré, car on peut être seul au sein d'un groupe amical ou familial. La solitude semblerait s'être intensifiée au fil de la modernisation. Dans les sociétés développées, la solitude s'est largement répandue parmi une catégorie d'individus : les séniors, qui  sont particulièrement vulnérables. Vulnérables par la baisse de leurs capacités physiques et intellectuelles liées à l'âge. Vulnérables également par les agissements d'une frange de la société moderne: les délinquants et les criminels, dont la télévision et les journaux relatent presque quotidiennement leurs méfaits.
L'isolement social désigne un manque d'interactions sociales en raison de divers facteurs psychologiques et physiques. C'est une source de souffrances. Cette situation survient lorsqu'un individu présente un lourd handicap, mais pas seulement, ainsi que dans le cas de certaines maladies. Des membres de l'entourage proche du malade, des amis et des connaissances prennent leurs distances: visites de plus en plus espacées, téléphone silencieux, courrier rare. Ces personnes ne mesurent pas, hélas, les conséquences dramatiques de leur comportement qui engendre anxiété, peur panique, troubles alimentaires, etc. L'isolement social peut entraîner des risques médicaux et psychiques, et d'autres risques plus ou moins nocifs pour la santé. Pourquoi ce comportement? Peur de la contagion? Peur de ne pas savoir quoi dire au malade? Indifférence, manque de charité, coeur sec, quoi encore?
On voit donc que la solitude et l'isolement social sont lourds de conséquences néfastes pour le malade. Le malade est en quelque sorte rejeté, et ce rejet peut avoir un effet négatif, particulièrement d'ordre psychologique tel que le repli sur soi-même, une faible estime de soi, voire le dégoût de la vie, voire une dépression. Cela peut également entraîner un sentiment d’insécurité et une haute sensibilité morale à de futurs rejets, réels ou imaginaires.
À suivre ….


Le vendredi  28 avril 2017

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