mercredi 31 mai 2017

Prier avec. les psaumes

Les entretiens du dimanche
33

2- La prière

Prier avec les psaumes


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En l'absence de Candide, Théophile travaillait sur le thème de la prière que lui avait suggéré le Père Stanislas. Aujourd'hui, il préparait l'exposé sur les psaumes. Comment prier avec les psaumes? Il était perplexe: en effet, bien que faisant partie de la prière diaconale de chaque jour, rares étaient les psaumes qui l'avaient touchés. Deux seulement; le psaume 116, car c'est le plus court de tous, et le psaume 130 (131) qui provoquait toujours en lui une grande émotion. Théophile se souvenait avec précision du jour où ce psaume l'avait bouleversé.
C'était en juillet 19**. Il avait été invité avec son épouse par son ancien évêque à une retraite à Ars, où il retrouvait les diacres et les postulants au diaconat du diocèse où il avait entrepris son cheminement pour être ordonné diacre. Il y avait six mois qu'il avait quitté O*** pour venir se retirer en Bourgogne suite à sa retraite professionnelle, avec l'espoir d'être ordonné diacre. Son diocèse d'accueil ne se pressait pas pour l'intégrer au groupe des cheminants. À vrai dire, on semblait même l'avoir oublié. Ces moments étaient difficiles à vivre, et Théophile garderait toujours en lui une certaine amertume, des regrets et des doutes. Mais le Christ ne l'oubliait pas et il allait lui donner une grâce toute particulière par le biais du psaume 130:
01 Seigneur, je n'ai pas le coeur fier ni le regard ambitieux ; je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent.
02 Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse ; mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère.
03 Attends le Seigneur, Israël, maintenant et à jamais.

Ce psaume apaisant allait toujours être présent à l'esprit de Théophile, et rien que de l'évoquer lui apportait la paix de l'âme. En effet, ce merveilleux psaume inspire un sentiment d'abandon: comme le bébé confiant en l'amour de sa mère, sûr de la protection maternelle, ce psaume invite à s'abandonner entièrement à Dieu. Dieu ne peut pas m'abandonner, Dieu veille sur moi. Que mon âme soit en paix, sans trouble, sans angoisse, sans peur. S'anéantir en Dieu, comme Jésus s'est abandonné au Père et s'est abaissé pour être serviteur (Cf. : Ph 2, 3-8):
Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu, n'a pas jugé bon de revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu; mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur … Il s'est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu'à mourir, et à mourir sur une croix.
Au temps de Jésus, l'enfant n'est rien. Jésus a changé cela en disant: « Si vous ne retournez à l'état des enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des Cieux. » (Mt 18,3) Il y a là une invitation à reconnaître que Dieu agit envers nous à la façon d'un père qui a la tendresse d'une mère.
     Thérèse de l'Enfant Jésus en a fait l'expérience, elle qui est connue pour avoir emprunté la Petite Voie : « Rester petit, c'est reconnaître son néant, attendre tout du Bon Dieu, ne pas trop s'affliger de ses fautes, ne point gagner de fortune, ne s'inquiéter de rien,... vouloir ne pas se suffire à soi-même,... se sentir incapable de gagner sa vie, la Vie éternelle... »

Théophile avait décidé de suivre le chemin que Jésus lui indiquait, le suivre contre vents et marées, le suivre sans s'affliger des rebuffades, des oublis, des rejets, des silences méprisants.

Théophile mit un terme à ses souvenirs. Il prit une feuille de papier mais n'écrivit rien, car il lui était impossible d'échapper au charme paisible de ce psaume. Il s'imagina même que ce psaume avait été composé par une femme abritant son enfant dans ses bras. Il ne put s'empêcher de comparer l'amour de cette femme pour son enfant à l'amour de Dieu pour l'humanité. Ah! Quel bonheur de s’abandonner au Seigneur avec la simplicité d’un enfant, sans inquiétude ni ambition.
Et Théophile replongea dans sa rêverie. La feuille de papier devant lui restait vierge de tout mot. Ce petit psaume lui en rappela un autre, encore plus court puisqu'il n'a que deux versets (Ps 116): 
01 Louez le Seigneur, tous les peuples ; fêtez-le, tous les pays !
02 Son amour envers nous s'est montré le plus fort ; éternelle est la fidélité du Seigneur !
Il sembla à Théophile que les deux psaumes étaient comme des jumeaux: semblables mais cependant différents. Louer Dieu, imaginer des célébrations joyeuses pour le fêter, affirmer que Dieu nous aime et nous soutient, même dans les pires difficultés! Un petit conte revint alors en mémoire à Théophile: sur une plage de sable fin, il y avait deux traces de pas, celle de Dieu et celle de l'homme qui marchaient ensemble … Et puis, soudain, il n'y eut plus qu'une trace. Alors, l'homme interpela Dieu: "Pourquoi m'as-tu abandonné?" Et Dieu lui dit: "Ce n'est pas la trace de tes pas que tu vois, mais la mienne, car je te portes sur mes épaules". … Théophile pensa: "Combien de fois, Seigneur, ai-je eu la même réaction que cet homme, que tu m'avais abandonné!"

L'esprit de Théophile continua à vagabonder dans une douce rêverie. Soudain, il sursauta; un bruit venait de le tirer de ses rêves. C'était en fait le Père Stanislas qui le saluait: 
-"Et bien! Théophile, on rêve?"
-"Non pas, mon Père. J'étais avec Dieu qui me parlait par psaumes interposés."
-"Ah bon … heureux homme! … ces brouillons, ce sont vos notes sur les psaumes? … et la feuille de papier appelée à recueillir le fruit de votre méditation est toujours blanche … Voyons voir ces brouillons."
-"Ce ne sont pas des brouillons personnels, mais des extraits glanés par çi par là."

Le Père Stanislas s'empara des notes. Il les parcourut tranquillement, et voilà ce qu'il lut:
Jésus ne nous a pas seulement dit de prier comme il nous l'a appris, mais aussi de prier en son nom (Jn 14,13-14). Jésus intervient constamment en notre faveur devant Dieu, et par l'Esprit Saint nous pouvons entrer dans la relation qui unit le Fils à son Père. Notre prière a donc un fondement trinitaire : nous adressons notre prière au Père parce que nous sommes ses enfants, à Jésus-Christ parce que nous sommes ses disciples, à l'Esprit Saint parce que nous sommes les héritiers de Jésus-Christ. La prière, c'est le courant trinitaire qui passe en nous, par la grâce qui est don gratuit.

Les auteurs du Nouveau Testament citent les psaumes (en hébreu: « livre des louanges ») pour montrer comment Jésus a assumé, renouvelé, accompli ce qu'ils annonçaient. Le Christ est tout à la fois, pour un chrétien, le Dieu qui est prié dans les psaumes, et l'homme qui prie Dieu à l'aide des psaumes. La pratique des psaumes est la première école de la prière chrétienne.

Si certains passages des psaumes peuvent apparaître contraires à l'Évangile et inacceptables pour un disciple du Christ [par exemple Ps 57(58) et Ps 147 (7-9)], n'oublions pas que le coeur de la prière biblique est l'expression d'une lutte permanente pour la justice de Dieu contre l'injustice du monde. Toute la vie de Jésus fut une lutte contre le Prince de ce monde: le choix baptismal est la lutte des fils de lumière.

La pratique des psaumes est la première école de la prière chrétienne. Les psaumes ouvrent alors deux directions de prière:
-La première consiste à s'adresser au Christ, le Dieu et le Seigneur des psaumes.
-La seconde consiste à considérer que le psalmiste est le Christ lui-même. La pratique des psaumes est vraiment la première école de la prière chrétienne.
Il y a des psaumes pour toutes les occasion de la vie: la joie, la souffrance, la maladie, l'action de grâce, l'espérance, les pauvres, et plus encore.

Pour recevoir de l'Esprit la vie comme un don, pour retourner au Père notre existence croyante, pour être en vérité au nombre de ceux qui sont assemblés au nom de Jésus, l'Église s'est donné sa propre prière, affinée et adaptée au cours du temps; c'est "la liturgie des heures". Prière d'une très grande richesse, c'est une prière de la foi, aux dimensions universelles. Elle est tout à la fois écoute de la Parole de Dieu, louange et action de grâce, union à Jésus, le Fils, pour apprendre comment prier le Père dans l'Esprit. Cette prière de l'Église fait prier en nous le Christ en faisant de nous, chrétiens, un corps.

-"Pas mal … Intéressant … Continuez, mon ami."

Théophile se mit alors en devoir d'écrire son texte. Ne le dérangeons pas. Il reviendra bientôt pour nous parler du "Notre Père".




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Chers lecteurs, si vous avez des remarques, des observations ou des questions, écrivez-moi à l'adresse jacques.choquet2@orange.fr
À suivre … si vous le voulez bien.

dimanche 28 mai 2017

Que peut-on dire de la prière ?

Les entretiens du dimanche
32

La prière

1- Que peut-on dire sur la prière ?


Théophile avait de temps en temps des nouvelles de Candide. Elle disait que son stage se déroulait sans problème, et que les entretiens du dimanche lui manquaient beaucoup.
Pour l'heure, Théophile planchait sur un thème que lui avait suggéré le Père Stanislas, thème qui portait sur la prière. En effet, au cours d'entretiens ou de confessions avec certains de ses paroissiens, le Père Stanislas avait constaté que la prière n'était pas une activité facile pour eux. Le Père Stanislas avait précisé sa pensée près de Théophile. Il lui avait dit : « Ce n'est pas un exposé théologique que je vous demande, mais plus simplement, dire ce que signifie pour vous la prière. Car je sais, mon cher Théophile, que vous n'êtes pas un théologien mais un homme autodidacte, dont la formation religieuse repose essentiellement sur l'expérience. Je pense que votre travail pourrait faire l'objet de quelques exposés auprès de nos paroissiens ».

Voici ce que Théophile a composé sur ce thème.

Introduction
Il arrive que l’on rencontre des personnes qui ont de grandes difficultés avec la prière. La prière est aussi un temps difficile pour moi. D’abord, par l’absence physique de celui ou de celle que l’on prie. Ensuite, l’esprit vagabonde souvent et se perd dans des méandres qui l’éloignent de son objet. Enfin, parce que je suis incapable de rester sans bouger au bout de quelques courtes minutes. Je n’irai pas jusqu’à dire, comme je l’ai entendu une fois, que je ne vois pas l’intérêt « de parler au plafond » !
Autre défaut : la prière est très souvent une prière de demande, et rarement une prière d’Action de grâce. Pardonnez-moi si j’ose encore parler de prière, mais je ne vois pas comment qualifier autrement cet exercice difficile qu’est la prière. Plus grave encore : la fréquence de la prière s’accroît dans les périodes de difficulté : elle diminue quand tout va bien, ou au sortir d’un moment difficile.
Voilà un tableau bien pessimiste, sombre comme une nuit sans lune, sans espérance, sans joie, sans foi en Dieu. C’est pourquoi nous allons essayer de comprendre ce que veut dire prier, car, pour un croyant, prier est une nécessité, une joie de rencontrer son Dieu.4

Une première approche
Quand nous sommes en période de Carême, il me semble que le texte le plus approprié pour comprendre ce que représente le Carême est tiré de l’évangile de Matthieu, au chapitre 6, versets 1 à 18 (Texte parallèle en Lc 11,2-4). Il exprime comment faire l'aumône, prier et jeûner de manière à plaire à Dieu. Voici ce que le Christ disait à ses disciples concernant la prière :
01 « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.
05 Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
06 Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
07 Lorsque vous priez, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés.
08 Ne les imitez donc pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant même que vous l’ayez demandé.
09 Vous donc, priez ainsi :
Notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié,
10 que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
11 Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour.
12 Remets-nous nos dettes, comme nous-mêmes nous remettons leurs dettes à nos débiteurs.
13 Et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du Mal.

Que dit ce texte, en substance ? Trois points émergent:

1- À propos des hypocrites, il faut comprendre ce que Jésus entend par là.Cette épithète vise tous les faux dévots de piété affectée et tapageuse. Ainsi Jésus recommande d’être discret quand on prie, surtout en public ou dans un lieu de culte. Quand j’étais étudiant à Paris, il m’arrivait de prier dans le métro ou le bus. Et pendant mon service militaire, durant les moments de répit, je priais aussi de façon très discrète.
2- Quand vous priez, ne vous donnez pas en spectacle, retirez-vous en un lieu isolé et silencieux. Par son exemple, (Mt 14, 23), comme par ses instructions, Jésus a enseigné à ses disciples le devoir et la façon de prier. Les évangélistes, surtout Luc, notent souvent que Jésus prie dans la solitude ou la nuit, au moment des repas, et lors d’événements importants : au Baptême, avant le choix des Douze, l’enseignement du Pater, et la confession de Césarée, à la Transfiguration, à Gethsémani, sur la croix. Il prie pour ses bourreaux, pour Pierre, pour ses disciples et ceux qui les suivront. Il prie aussi pour lui-même. Ces prières démontrent qu’il existe une relation permanente entre le Fils et le Père, qui ne le laisse jamais seul, et l’exauce toujours. Par ces exemples comme par son enseignement, Jésus a inculqué à ses disciples la nécessité et la façon de prier. À présent, près du Père, il continue d’intercéder pour les siens, comme il l’a promis, (Jn 14, 16-18 : « Je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet, pour qu'il soit avec vous à jamais, l'Esprit de Vérité … Vous, vous le connaissez, parce qu'il demeure auprès de vous; et en vous il sera. Je ne vous laisserai pas orphelins »).
Jésus recommande à ses disciples que la prière doit être humble devant Dieu et devant les hommes, du cœur plus que des lèvres, confiante en la bonté du Père, et insistante jusqu’à l’importunité. Elle est exaucée si elle est faite avec foi, au nom de Jésus, et demande de bonnes choses, telles que l’Esprit Saint, le pardon, le bien des persécuteurs, surtout l’avènement du Règne de Dieu et la préservation lors de l’épreuve eschatologique. C’est toute la substance de la Prière modèle enseignée par Jésus lui-même.
3- Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens : ils s'imaginent qu'à force de paroles ils seront exaucés, ce qui est inutile, car le Père sait de quoi vous avez besoin avant même que vous l'ayez demandé.
Je tiens à disposition toutes les références aux textes bibliques qui figurent dans toute bonne bible et que j’ai consultées.
En substance, il en ressort : isolementsilenceconfiance. Voilà les maîtres mots qui, d’après ce passage d’évangile, caractérisent les conditions optimales pour prier et entrer en relation avec Dieu.
Isolement et silence: certes, mais ce n'est pas toujours facile. En effet, il peut y avoir urgence à prier, par exemple en cas de danger. Chez soi, si cela est possible, il est souhaitable de créer un coin-prière, dans un espace silencieux.
Confiance: évident, sinon à quoi bon prier si on n'a pas confiance envers celui ou celle qu'on prie.
Rabâcher? Mais alors, le chapelet n'est-il pas visé par cet écueil? Non, bien sûr. Rabâcher signifie "répéter sans cesse de façon fastidieuse". Ce qui est fastidieux est barbant, inutile, stérile. Ça peut être le cas du chapelet lorsqu'il est prié à toute vitesse, comme pour s'en débarrasser: j'ai constaté que c'est parfois se qui se passe quand le chapelet est prié en groupe; on dirait que le groupe a un train à prendre d'urgence! Nous reparlerons plus tard du chapelet.

Quelques objections sur l’utilité de la prière
Communément, on dit que prier c'est s'adresser à Dieu. En réalité, la prière est un mouvement de l'âme qui tend à une communication spirituelle avec Dieu, par l'élévation vers lui des sentiments. La prière serait-elle donc une sorte d’entrée en dialogue avec Dieu ?
Aussitôt, cette définition soulève des objections. On avance que c'est fuir ses responsabilités en transférant à Dieu ce que nous ne voulons pas faire. Combien de fois constatons-nous à la messe dominicale que la prière universelle demande à Dieu d’intervenir et de faire ceci ou de faire cela ; c’est bien une forme de fuite, car on se défauss ede nos obligations ou de nos devoirs de chrétien. On dit aussi que c’est se consoler à bon compte parce que c'est un mode enfantin de comportement pour l'homme qui n'est pas assez fort ou adulte pour affronter la réalité et qui trouve dans la prière un refuge artificiel. Pire encore : c'est aussi une manière d'essayer de mettre Dieu au service de nos intérêts et de nos besoins ; au lieu de servir Dieu, nous lui demandons de se mettre à notre service. Enfin, pour beaucoup, c'est une pratique d'un autre temps; pour l'homme du vingt et unième siècle qui se veut libre et libéré, c'est dépassé.
Arrêtons là le registre des objections. Ces déviations existent indéniablement. Prier ne serait donc pas une activité humaine sérieuse ? Certes non, car prier ainsi qu'on vient de l'évoquer n’est pas la vraie prière, ne peut pas être celle de Jésus, ni celle des saints. Bref ! Le chrétien sent bien qu'on ne peut pas évacuer la question aussi facilement, et il s'interroge doublement: qu’est-ce que prier? Pourquoi prier?
Isolementsilenceconfiance. Savons-nous encore prier ? Serait-ce une science perdue ? Peut-être ? Il n'existe plus guère de maître, ni d'école de prière. Y a-t-il une église, où le dimanche on apprenne à prier, où on se sente soulevé dans un élan de prière vers Dieu? C'est rare, pour ne pas dire jamais le cas, et c’est bien dommage, au même titre qu’extrêmement peu de prêtres donnent une éducation solide sur la messe. 

Alors, que faut-il penser de la prière ?
Etre une âme de prière c'est avoir une relation d'intimité avec chacune des trois personnes de la Trinité. Ce n'est pas une prière intellectuelle; c'est une prière qui nous rend amoureux de Dieu. C'est une grâce d'abandon de nous-mêmes, d'intelligence de la Parole de Dieu. Un jour, quelque part, Jésus était en prière. Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : “Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean Baptiste l'a appris à ses disciples.”(Lc 11,1) La réponse de Jésus fut le "Notre Père". Chacune des trois personnes renvoie à l'autre: le "Notre Père" est tourné vers le Père et l'Esprit.
Dans ce passage de saint Luc, Jésus donne un exemple instructif pour ses disciples qui insistent pour savoir prier comme lui:
5 … “ Supposons que l'un de vous ait un ami et aille le trouver en pleine nuit pour lui demander :'Mon ami, prête-moi trois pains : 6 un de mes amis arrive de voyage, et je n'ai rien à lui offrir.' 7 Et si, de l'intérieur, l'autre lui répond : 'Ne viens pas me tourmenter ! Maintenant, la porte est fermée ; mes enfants et moi, nous sommes couchés. Je ne puis pas me lever pour te donner du pain',  8 moi, je vous l'affirme : même s'il ne se lève pas pour les donner par amitié, il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami, et il lui donnera tout ce qu'il lui faut. 9 Eh bien, moi, je vous dis : Demandez, vous obtiendrez ; cherchez, vous trouverez ; frappez, la porte vous sera ouverte. 10 Celui qui demande reçoit ; celui qui cherche trouve ; et pour celui qui frappe, la porte s'ouvre. 11 Quel père parmi vous donnerait un serpent à son fils qui lui demande un poisson ? 12 ou un scorpion, quand il demande un oeuf ? 13 Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! ” (Lc 11,5-13)
La demande de cet homme à son ami repose sur un besoin important et justifié: offrir du pain à un voyageur qui arrive à l'improviste. La demande est insistante, mais en aucun cas elle n'est du "rabâchage". Elle exprime une nécessité impérieuse. Mais ce qui est important à mes yeux c'est ce que dit cet homme : "prête-moi trois pains". Prêter implique rendre. Notre prière se doit donc d'exprimer une nécessité justifiée, et de rendre grâce au Seigneur ensuite; ces quatre mots expriment une confiance inébranlable envers le Seigneur, envers le Père, le Fils et l'Esprit.

Y a-t-il plusieurs manières de prier ?
Il y a différentes étapes de la vie de prière:
-Une étape méditative.
-Une étape contemplative.
-Une étape en union avec Dieu.
Ce ne sont pas des étapes chronologiques; tout dépend de notre chemin.

-Une étape méditative.
C'est l'accueil du par l'intelligence de la foi et l'écoute de la Parole. On peut demeurer dans cette Parole, l'Esprit nous donnera la lumière pour la comprendre. C'est une étape importante dans la vie spirituelle, c'est l'étape de la révélation. Jésus est mon maître qui m'enseigne les chemins de Dieu, doucement, patiemment, à l'aide de la Parole qui est sienne. À cette étape se relie tout ce qui est lecture spirituelle: quelque chose m'est donné à travers ces mots.

-Une étape contemplative.
Écoutons Ignace de Loyola: "Ce n'est pas l'abondance du savoir qui rassasie l'âme mais c'est de goûter les choses". "Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur" (Ps 34,9). Il y a là une dimension affective que mettent bien en évidence les disciples d'Emmaüs : «Notre cœur n'était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous parlait en chemin, quand il nous expliquait les Écritures?» (Lc 24,32),. Cela suppose renoncement et simplification. Faisons taire notre intelligence, écoutons notre coeur. Dieu se communique sans paroles, sans idées, mais par le recueillement, le silence. Dieu donne cette prière.

-Une étape en union avec Dieu.
Cette étape appartient à Dieu. Elle se fait sous son action. Elle est donnée gratuitement. C'est une grâce que Dieu donne dans son immense amour et sa miséricorde : on reçoit recueillement, paix, silence, quiétude. Il est bon d'être saisi par Dieu et non de le saisir.

L'accès à ces étapes ne peut se faire que par une épreuve: celle de l'aridité de la prière, de la crise de la nuit, du désert. Si on en souffre, il faut discerner deux causes:
-C'est le signe que l'homme intérieur en moi s'est endormi. On est pris par le monde. L'espace spirituel est envahi: nous sommes asphyxiés, étouffés. La prière devient difficile dans ces cas-là. Il faut réveiller l'homme intérieur, il faut que ce soit durable.
-C'est une crise de croissance. Même dans la difficulté, mon désir de Dieu demeure. Je reste avide, nostalgique, assoiffé de Dieu. Le Seigneur me dit "avance en eau profonde" (Lc 5,4). Il faut aller plus loin en se dépouillant soi-même, en se purifiant.

L'eucharistie est un chemin de prière qui regroupe les trois étapes: accueil de la Parole d'abord (méditation), étape de l'offrande  (l'offertoire) de l'action de grâce, de la louange. Prière eucharistique --> étape d’union: prière du "Notre Père", communion entre nous, puis communion avec Notre Seigneur, geste de paix "Si tu as quelque chose contre ton frère, va d'abord te réconcilier avec lui". La messe est une école de prière. Elle saisit toutes nos capacités humaines et spirituelles.

Comment vivre chaque étape ?
La progression dans chaque étape peut se résumer ainsi: aller, demeurer, quitter.
Aller: On n’entre pas dans la prière sur un coup de tête : « Tiens ! Si je priais … » C’est être désinvolte envers Dieu. Peut-on un instant espérer que Dieu va nous écouter ?
Certes, il y a des circonstances où prier devient en un instant une nécessité absolue. Par exemple, en cas de danger, ou encore quand on a une décision importante à prendre sur l’instant. Dieu sait alors l’importance que revêt pour nous cette prière ; Il sera immédiatement à notre écoute.
Se mettre en prière, corps et âme. Consciemment: signe de croix --> trinitaire; génuflexion --> abaissement; humilité (de humus = terre). Vivre un moment de louange à chacune des trois personnes. Se fixer un temps: ne pas se laisser conduire par sa fantaisie, c'est un temps qui est donné en fonction de moi-même. avoir conscience de la présence de Dieu.

Demeurer: demeurer en fonction de la grâce qui m'est donnée par le Seigneur qui m'appelle, par exemple à partir d'un texte. Où mon coeur a-t-il vibré? C'est le don de Dieu. Demeurer dans le silence, la paix, le repos. Laisser couler en moi la présence de Dieu. Demeurer implique une durée: notre être met du temps à s'apaiser. Le corps doit être associé à la prière. Un progrès, c'est prier les yeux fermés.
La prière efficace est celle que Jésus a enseigné à ses disciples, le « Notre Père ». Mais à une condition : ne pas la bâcler mais la prier de tout notre cœur, de toute notre ferveur. Combien de fois avons-nous entendu cette prière récitée d’un air distrait, comme quelque chose de très banale, et même à une vitesse exagérée !
              La prière ne se perd pas : elle obtient toujours une réponse, mais ne soyons pas impatients.

Quitter: ne pas quitter la prière en vitesse, dire des mots d'amour. Confier ce qui va suivre: nous sommes appelés à vivre en état de prière. Le but est la prière continuelle, être une âme de prière. On est un contemplatif dans l'action: prier dans l'autobus, dans les activités diverses. Mon coeur profond est branché sur Dieu.

La prière est un chemin merveilleux, un chemin de guérison. C'est une grâce qui nous est offerte par notre silence: il y faut entrer, dans le silence.

Il y a des obstacles à la prière:
-Ce qui nous pèse.
-L'intellectualisme: il faut laisser renaître mon coeur. Les cérébraux ont de la peine à laisser vivre leur coeur.
-Blocage au niveau de la parole: on est enfermé en soi.
-Blocage du corps qui peut faire obstacle à la quiétude.
Il faut accepter d'être accompagné pour vivre une prière profonde. Vivre et accepter l'accompagnement spirituel. Le frère qui se laisse aider par son frère est une place forte. L'accompagnement doit être amical, fraternel; ne pas se laisser bloquer dans une sorte d'orgueil. L'accompagnement est une rencontre fraternelle, priante. Être à l'écoute de ce que le Seigneur me dit. Qu'est-ce que Dieu me dit? Qu'est-ce qui me frappe? Qu'est-ce qui me rend heureux? Qu'est-ce qui me peine? C'est une aide au discernement, qui ne se fait pas sans accompagnement. Trouver la parole qui libère. L'accompagnement est une grâce; il y a tant d'êtres isolés, en panne. C'est une grâce: on devrait accepter d'accompagner des personnes. C'est un ministère.

Dieu écoute notre prière
Notre blog 34 du 11 décembre 2008 attirait l’attention sur le pardon. Nous disions que, nous chrétiens, savons et affirmons que Dieu est Dieu de pardon (Ex 20,6), un “Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et en fidélité.” Loin de vouloir la mort du pécheur, il veut sa conversion (Ez 18,23) ; « ses voies ne sont pas nos voies », et « ses pensées dépassent nos pensées » (Is 55,8).
Les penseurs de l’Ancien Testament ont plusieurs fois affirmé cette certitude. Ainsi dans le psaume 85, le psalmiste écrit : « Toi qui es bon et qui pardonnes, plein d'amour pour tous ceux qui t'appellent, écoute ma prière, Seigneur, entends ma voix qui te supplie. Je t'appelle au jour de ma détresse, et toi, Seigneur, tu me réponds. »
De même le psaume 130 exprime une confiance totale en la miséricorde de Dieu. «Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur, Seigneur, écoute mon appel! Que ton oreille se fasse attentive au cri de ma prière! Si tu retiens les fautes, Seigneur, Seigneur, qui subsistera? Mais près de toi se trouve le pardon. »
Si nous sommes dans la peine, si notre foi faiblit, adressons à Dieu une prière venant du plus profond de notre cœur. Dieu nous écoutera et à sa manière, la meilleure pour nous soyons-en sûrs, il nous répondra à l’instant qu’il faut.
Le silence de Dieu n’est jamais une marque d’indifférence.

Pour rendre notre vie féconde sans tristesse.
Je ne sais plus où j'ai lu ce qu'écrivait le cardinal John Henry Newman (1801-1890), prêtre, fondateur de communauté religieuse, et théologien : « Sortez du tombeau du vieil Adam, abandonnez vos préoccupations, les jalousies, les soucis, les ambitions du monde, l'esclavage de l'habitude, le tumulte des passions, les fascinations de la chair, l'esprit froid, terre à terre et calculateur, la légèreté, l'égoïsme, la mollesse, la vanité et les manies de grandeur. Efforcez-vous désormais de faire ce qui vous paraît difficile, mais qui ne devrait pas, ne doit pas être négligé : veillez, priez et méditez »

Ces trois derniers mots, voilà ce qui doit être notre règle de vie quotidienne. « Prier, c’est ouvrir la porte de notre coeur à Dieu. » Dieu a des choses à nous dire : écoutons-le, ne fermons pas notre porte.

Elle est si grande, la puissance d’une âme livrée à l’amour. Marie, la sœur de Lazare, en est un bel exemple : un mot lui suffit pour obtenir la résurrection de son frère: "Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort." Quand il vit qu'elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus fut bouleversé d'une émotion profonde. (Jn 11,32-33) Que notre prière vienne du fond de notre cœur, pour tous ceux auxquels nous avons un profond et sincère attachement ! Et puis il y a ceux que nous n’aimons pas : pourquoi ne pas prier pour eux aussi: " Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux" (Mt 5,44-45) ?

Que conclure?
Le Dieu des chrétiens n’est pas un Dieu lointain, mais bien au contraire un Dieu toujours présent et soucieux de nous. Certes, il existe des situations dans lesquelles Dieu semble bien absent et sourd ; est-ce si sûr ?
Dans sa Lettre apostolique «  Au début du nouveau millénaire », le pape saint Jean-Paul II (6 janvier 2001) affirme que pour avancer sur le chemin de la sainteté, il faut un christianisme qui se distingue avant tout dans l'art de la prière. Il ajoute que la prière ne doit pas être considérée comme évidente. Il est nécessaire d'apprendre à prier, recevant pour ainsi dire toujours de nouveau cet art des lèvres mêmes du Christ, comme les premiers disciples qui demandaient : “Seigneur, apprends-nous à prier!”
Toujours d’après cette lettre, il apparaît que la prière est dialogue intime avec le Christ : “ Demeurez en moi, comme moi en vous ” (Jn 15,4)
La prière, réalisée en nous par l'Esprit Saint, nous ouvre à la contemplation du visage du Père, par le Christ et dans le Christ… Nos communautés chrétiennes doivent devenir d'authentiques écoles deprière, où la rencontre avec le Christ ne s'exprime pas seulement en demande d'aide, mais aussi en action de grâce, louange, adoration, contemplation, écoute, affection ardente, jusqu'à une vraie “folie” du cœur, qui en nous ouvrant à l’amour de Dieu, nous ouvre aussi à l’amour des autres.

En fait, tout dépend de nous. Si notre âme n’est pas toute confiante en Dieu, parce qu’elle a en elle-même une intention cachée (Dieu, évidemment que je crois en Toi, mais fais en sorte que …), ou bien parce qu’elle est distraite ou manque de sincérité, alors Dieu attend la conversion de cette âme, et rien ne vient. Si au contraire, notre âme est tout entière prête à accueillir Dieu, alors Dieu écoute et agit, mais toujours pour notre bien, immédiatement ou en différé, et souvent Il donne plus que ce qu’on lui demande.

Notre religion n'est pas la religion de l'absence de Dieu, mais de sa présence, de sa présence réelle, malgré son invisibilité et son inaccessibilité physique. Dieu n’est accessible que par la prière, et j’ajouterai, par notre âme qui saisit sa présence et sa parole. Encore faut-il que nous nous isolions, que nous fassions silence, que nous vidions de notre esprit tout ce qui l’encombre, et aussi, et c’est l’essentiel, que nous fassions confiance en Dieu.
Enfin, je précise que cet exposé sur la prière n'est pas exhaustif, et il reste encore bien des choses à dire !
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Chers lecteurs, si vous avez des remarques, des observations ou des questions, n'hésitez pas à m'écrire à l'adresse jacques.choquet2@orange.fr . Jusqu'à aujourd'hui, votre silence est "assourdissant"

Le dimanche 28 mai 2017  

jeudi 11 mai 2017

La crainte de Dieu

Les entretiens du dimanche
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La crainte de Dieu

Ce jour-là, Théophile avait reçu une lettre que lui avait expédiée Candide depuis l'Irlande. Elle lui faisait part de son étonnement d'avoir entendu dire au cours d'une des lectures de la messe qu'il fallait vivre dans la crainte de Dieu, alors que l'Église insistait sur la miséricorde de Dieu. Candide était étonnée par ce qu'il lui semblait qu'il y eût là une contradiction, et elle souhaitait que Théophile l'éclairât sur cette question qui la tracassait. Notre ami se mit au travail, et voila ce qu'il répondit à Candide.
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<Chère amie Candide,
Merci pour ta lettre qui me donne de tes nouvelles. Je constate que tu a participé à la messe de dimanche dernier. Tu dois te débrouiller en anglais, et même plus que te débrouiller, pour avoir saisi le contenu des lectures.
Ne sois pas gravement perturbée par la contradiction que tu évoques, en opposant crainte et miséricorde.
Comme beaucoup de choses, une langue évolue; elle nait, elle se développe, elle s'enrichit mais s'appauvrit aussi, et puis elle peut mourir. Les mots qui la constituent peuvent évoluer et c'est bien ce qui se passe avec le vocabulaire de la Bible. Au fil du temps, un mot peut acquérir un sens nouveau; une ou plusieurs nuances vont en modifier l'usage.
Tiens! Il me vient à l'esprit un exemple que je crois significatif de cette manière d'évoluer en se nuançant. Prends le mot "pauvre"; il est à la fois nom et adjectif. Voici mon exemple: tu connais l'expression <un homme pauvre>, et oppose-lui cette autre expression <un pauvre type> ; vas même jusqu'à les associer dans une nouvelle expression, <un pauvre type pauvre>. Tu es à même de saisir les nuances introduites par ces expressions. La première met en évidence la pauvreté matérielle de l'homme, la deuxième suggère que c'est un idiot ou un imbécile; quant à la troisième … je te laisse conclure!

Le vocabulaire de la Bible a évolué comme pour toute langue vivante; le mot "crainte" y apparait à la fois comme "peur", mais aussi avec une autre signification que je vais te faire découvrir. Dans ce second sens, les textes de l'Ancien Testament tendent à exprimer le respect religieux qui saisit l'homme devant la grandeur de Dieu. Dans les écrits les plus anciens, Dieu est perçu à l'image des hommes: puissant, guerrier, coléreux, exigeant, réclamant vengeance. Cependant, et contrairement à cette image, Dieu ne cesse de se révéler aux hommes. À Abraham à qui il promet une descendance nombreuse et un fils alors que l'épouse d'Abraham est trop âgée pour avoir un enfant; à Moïse dans l'épisode du buisson ardent; à Jacob, à Isaïe (Is 6,1-10). Certes, ils sont étonnés, ils éprouvent un certain effroi devant la manifestation de Dieu, mais à chaque fois Dieu les rassure : « Ne crains pas ! » Peu à peu, cette crainte se transforme, elle devient volonté et désir de ne pas déplaire au Dieu de l'Alliance, de lui être fidèle. C'est le sens du psaume 110 : «La sagesse commence avec la crainte du Seigneur. Qui accomplit sa volonté en est éclairé.» et du psaume 111 « Heureux qui craint le Seigneur, qui aime entièrement sa volonté !» Cette crainte est alors un don de Dieu, et on comprend qu'au temps de Jésus, les païens qui entraient dans la foi juive avaient été appelés les «craignant Dieu»
Si nous approfondissant ce que devient cette "crainte", elle prend un sens très particulier parce que Dieu s’est révélé à son peuple comme un « Père ». Lorsque Jésus parle de Dieu, tout au long de l'enseignement qu'il développe à ses disciples, il appelle Dieu:  Père. Jésus utilisera un mot araméen: Abba. Je peux te donner une référence intéressante, tirée de l'évangile de Marc, lorsque Jésus est au jardin des oliviers avant d'être emmené par les Juifs pour être jugé puis condamné à mort par le procurateur romain Ponce Pilate. La voici :
"S'écartant un peu, il tombait à terre et priait pour que, s'il était possible, cette heure s'éloigne de lui. Il disait : “ Abba... Père, tout est possible pour toi. Éloigne de moi cette coupe. Cependant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux !" (Mc 14,35-36).
Abba est un nom araméen qui, sur les lèvres de Jésus, exprime la familiarité du Fils avec le Père. Il sera mis ainsi dans la bouche des chrétiens, dont l’Esprit Saint fait des fils de Dieu. Voici où trouver cette affirmation chez saint Paul, en
Rm 8,14-1614 En effet, tous ceux qui se laissent conduire par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. 15 L'Esprit que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur ; c'est un Esprit qui fait de vous des fils ; poussés par cet Esprit, nous crions vers le Père en l'appelant : « Abba ! ». 16 C'est donc l'Esprit Saint lui-même qui affirme à notre Esprit que nous sommes enfants de Dieu.
et en Ga 4, 6voici la preuve que vous êtes des fils : envoyé par Dieu, l'Esprit de son Fils est dans nos coeurs, et il crie vers le Père en l'appelant « Abba ! ».

C'est bien ce que veut nous faire comprendre le psaume 102/103 : « Comme la tendresse du père pour ses fils, ainsi est la tendresse du Seigneur pour celui qui le craint » La crainte de Dieu n’est plus de la peur; elle s'est transformée en une attitude filiale. Pour un enfant qui vit avec un père qui l'aime, cette "crainte" est faite de tendresse, de respect, de vénération, et d’une confiance totale. Pierre le dit bien : « Vous invoquez Dieu comme votre Père... vivez donc dans la crainte de Dieu » Si je conçois Dieu comme Père, alors je n'ai plus peur, je ne redoutes plus la "colère" de Dieu; je me tourne vers Lui comme un fils vers son père, et je peux alors comprendre que Dieu est miséricordieux, que Dieu est Amour, avec un grand A. Et en toute bonne logique, je prends la "ferme décision de ne plus l'offenser" selon la formule bien connue de l’acte de contrition.
Chère Candide , te connaissant bien, je t’imagines en train de préparer une bonne objection à tout ce que je viens de t’écrire jusqu’ici : « Comment peut-on être amené à comprendre tout cela ? »  Ma réponse ? C’est parce que Dieu, dans son amour pour les hommes, leur fait un don : ils le reçoivent par l’action de l’Esprit  Saint. En quoi consiste ce don ? 
Il faut se reporter au livre d’Isaïe, au chapitre 11, versets 2 et 3. Ce texte décrit les qualités que le Messie recevra de Dieu :
sur lui reposera l'esprit du seigneur
esprit de sagesse et d'intelligence
esprit de conseil et de force
esprit de science et de crainte du Seigneur.
Ces deux derniers dons fournissent aux croyants ce qui permet de découvrir qui est Dieu (la science) et pour respecter son alliance (crainte).  Le don de crainte s'est divisé en deux pour obtenir le nombre des sept dons : la crainte et la piété. Les traits du visage du Messie attendu commencent à apparaître dans le Livre de l'Emmanuel (cf. Is 6-12) .
Dans le rite romain du sacrement de la confirmation, l'évêque étend les mains sur l'ensemble des confirmands, geste qui, depuis le temps des apôtres, est le signe du don de l'Esprit. L'évêque invoque l'effusion [répandre sur…] de l'Esprit Saint par ces paroles:
Dieu très bon, Père de Jésus, le Christ, notre Seigneur, regarde ces baptisés sur qui nous imposons les mains: par le Baptême, tu les as libérés du péché, tu les as fait renaître de l'eau et de l'Esprit. Comme tu l'as promis, répands maintenant sur eux ton Esprit Saint; donne-leur en plénitude l'Esprit qui reposait sur ton Fils Jésus: esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et d'affection filiale; remplis-les de l'esprit de la crainte de Dieu. Par le Christ, notre Seigneur.

Pour conclure; si nous sommes des fils de Dieu, qu'avons-nous à craindre de Lui, qui est amour et miséricorde? Rappelles-toi le passage de l'évangile de Luc (15, 1-32) qui évoque le retour du fils prodigue, dans une magnifique parabole, illustration de la miséricorde de Dieu envers celui qui reconnaît ses fautes;

C’est en Matthieu, aux chapitres 5, 6, et 7 que l’on trouve les conseils de Jésus pour être vraiment fils du Père. Peut-être, un jour, pourrions-nous en reparler. Permets-moi de te donner les grandes lignes qui sont une piste pour comprendre l'action de l'Esprit Saint:
L’Esprit Saint n’est pas seulement une manifestation extérieure de puissance thaumaturgique et charismatique; il est aussi et surtout un principe intérieur de vie nouvelle que Dieu nous donne. Reçu par la foi et le baptême, il habite dans le chrétien, dans son esprit, et même dans son corps, (1 Co 6, 19). Cet Esprit, qui est l’Esprit du Christ, rend le chrétien fils de Dieu, et fait habiter le Christ en son cœur. Il est pour le chrétien (comme pour le Christ lui-même) un principe de résurrection, par un don eschatologique qui dès à présent le marque comme d’un sceau, et se trouve en lui à titre d’arrhes, et de prémices, (Rm 8,23). Se substituant au principe mauvais de la chair, il devient en l’homme un principe de foi, de connaissance surnaturelle, d’amour, de sanctification, de conduite morale, de courage apostolique, d’espérance, et de prière. Il ne faut pas l’éteindre, ni le contrister [lui faire de la peine, l'attrister]. Unissant au Christ, il fait l’unité de son Corps.

Il faudra aussi que nous parlions de la miséricorde.
Pour l'heure, je te quitte et te salue en latin: vale [salut!]. Portes-toi bien et vit comme une fille de Dieu.>

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Illustration
Cathédrale catholique de Dublin
Rembrandt - Le retour du fils prodigue
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Chers lecteurs, si vous avez des remarques, des observations ou des questions, écrivez-moi à l'adresse jacques.choquet2@orange.fr en toute discrétion.
À suivre … si vous le voulez bien.

Le  jeudi 11 mai 2017