jeudi 11 mai 2017

La crainte de Dieu

Les entretiens du dimanche
31

La crainte de Dieu

Ce jour-là, Théophile avait reçu une lettre que lui avait expédiée Candide depuis l'Irlande. Elle lui faisait part de son étonnement d'avoir entendu dire au cours d'une des lectures de la messe qu'il fallait vivre dans la crainte de Dieu, alors que l'Église insistait sur la miséricorde de Dieu. Candide était étonnée par ce qu'il lui semblait qu'il y eût là une contradiction, et elle souhaitait que Théophile l'éclairât sur cette question qui la tracassait. Notre ami se mit au travail, et voila ce qu'il répondit à Candide.
*****

<Chère amie Candide,
Merci pour ta lettre qui me donne de tes nouvelles. Je constate que tu a participé à la messe de dimanche dernier. Tu dois te débrouiller en anglais, et même plus que te débrouiller, pour avoir saisi le contenu des lectures.
Ne sois pas gravement perturbée par la contradiction que tu évoques, en opposant crainte et miséricorde.
Comme beaucoup de choses, une langue évolue; elle nait, elle se développe, elle s'enrichit mais s'appauvrit aussi, et puis elle peut mourir. Les mots qui la constituent peuvent évoluer et c'est bien ce qui se passe avec le vocabulaire de la Bible. Au fil du temps, un mot peut acquérir un sens nouveau; une ou plusieurs nuances vont en modifier l'usage.
Tiens! Il me vient à l'esprit un exemple que je crois significatif de cette manière d'évoluer en se nuançant. Prends le mot "pauvre"; il est à la fois nom et adjectif. Voici mon exemple: tu connais l'expression <un homme pauvre>, et oppose-lui cette autre expression <un pauvre type> ; vas même jusqu'à les associer dans une nouvelle expression, <un pauvre type pauvre>. Tu es à même de saisir les nuances introduites par ces expressions. La première met en évidence la pauvreté matérielle de l'homme, la deuxième suggère que c'est un idiot ou un imbécile; quant à la troisième … je te laisse conclure!

Le vocabulaire de la Bible a évolué comme pour toute langue vivante; le mot "crainte" y apparait à la fois comme "peur", mais aussi avec une autre signification que je vais te faire découvrir. Dans ce second sens, les textes de l'Ancien Testament tendent à exprimer le respect religieux qui saisit l'homme devant la grandeur de Dieu. Dans les écrits les plus anciens, Dieu est perçu à l'image des hommes: puissant, guerrier, coléreux, exigeant, réclamant vengeance. Cependant, et contrairement à cette image, Dieu ne cesse de se révéler aux hommes. À Abraham à qui il promet une descendance nombreuse et un fils alors que l'épouse d'Abraham est trop âgée pour avoir un enfant; à Moïse dans l'épisode du buisson ardent; à Jacob, à Isaïe (Is 6,1-10). Certes, ils sont étonnés, ils éprouvent un certain effroi devant la manifestation de Dieu, mais à chaque fois Dieu les rassure : « Ne crains pas ! » Peu à peu, cette crainte se transforme, elle devient volonté et désir de ne pas déplaire au Dieu de l'Alliance, de lui être fidèle. C'est le sens du psaume 110 : «La sagesse commence avec la crainte du Seigneur. Qui accomplit sa volonté en est éclairé.» et du psaume 111 « Heureux qui craint le Seigneur, qui aime entièrement sa volonté !» Cette crainte est alors un don de Dieu, et on comprend qu'au temps de Jésus, les païens qui entraient dans la foi juive avaient été appelés les «craignant Dieu»
Si nous approfondissant ce que devient cette "crainte", elle prend un sens très particulier parce que Dieu s’est révélé à son peuple comme un « Père ». Lorsque Jésus parle de Dieu, tout au long de l'enseignement qu'il développe à ses disciples, il appelle Dieu:  Père. Jésus utilisera un mot araméen: Abba. Je peux te donner une référence intéressante, tirée de l'évangile de Marc, lorsque Jésus est au jardin des oliviers avant d'être emmené par les Juifs pour être jugé puis condamné à mort par le procurateur romain Ponce Pilate. La voici :
"S'écartant un peu, il tombait à terre et priait pour que, s'il était possible, cette heure s'éloigne de lui. Il disait : “ Abba... Père, tout est possible pour toi. Éloigne de moi cette coupe. Cependant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux !" (Mc 14,35-36).
Abba est un nom araméen qui, sur les lèvres de Jésus, exprime la familiarité du Fils avec le Père. Il sera mis ainsi dans la bouche des chrétiens, dont l’Esprit Saint fait des fils de Dieu. Voici où trouver cette affirmation chez saint Paul, en
Rm 8,14-1614 En effet, tous ceux qui se laissent conduire par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. 15 L'Esprit que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur ; c'est un Esprit qui fait de vous des fils ; poussés par cet Esprit, nous crions vers le Père en l'appelant : « Abba ! ». 16 C'est donc l'Esprit Saint lui-même qui affirme à notre Esprit que nous sommes enfants de Dieu.
et en Ga 4, 6voici la preuve que vous êtes des fils : envoyé par Dieu, l'Esprit de son Fils est dans nos coeurs, et il crie vers le Père en l'appelant « Abba ! ».

C'est bien ce que veut nous faire comprendre le psaume 102/103 : « Comme la tendresse du père pour ses fils, ainsi est la tendresse du Seigneur pour celui qui le craint » La crainte de Dieu n’est plus de la peur; elle s'est transformée en une attitude filiale. Pour un enfant qui vit avec un père qui l'aime, cette "crainte" est faite de tendresse, de respect, de vénération, et d’une confiance totale. Pierre le dit bien : « Vous invoquez Dieu comme votre Père... vivez donc dans la crainte de Dieu » Si je conçois Dieu comme Père, alors je n'ai plus peur, je ne redoutes plus la "colère" de Dieu; je me tourne vers Lui comme un fils vers son père, et je peux alors comprendre que Dieu est miséricordieux, que Dieu est Amour, avec un grand A. Et en toute bonne logique, je prends la "ferme décision de ne plus l'offenser" selon la formule bien connue de l’acte de contrition.
Chère Candide , te connaissant bien, je t’imagines en train de préparer une bonne objection à tout ce que je viens de t’écrire jusqu’ici : « Comment peut-on être amené à comprendre tout cela ? »  Ma réponse ? C’est parce que Dieu, dans son amour pour les hommes, leur fait un don : ils le reçoivent par l’action de l’Esprit  Saint. En quoi consiste ce don ? 
Il faut se reporter au livre d’Isaïe, au chapitre 11, versets 2 et 3. Ce texte décrit les qualités que le Messie recevra de Dieu :
sur lui reposera l'esprit du seigneur
esprit de sagesse et d'intelligence
esprit de conseil et de force
esprit de science et de crainte du Seigneur.
Ces deux derniers dons fournissent aux croyants ce qui permet de découvrir qui est Dieu (la science) et pour respecter son alliance (crainte).  Le don de crainte s'est divisé en deux pour obtenir le nombre des sept dons : la crainte et la piété. Les traits du visage du Messie attendu commencent à apparaître dans le Livre de l'Emmanuel (cf. Is 6-12) .
Dans le rite romain du sacrement de la confirmation, l'évêque étend les mains sur l'ensemble des confirmands, geste qui, depuis le temps des apôtres, est le signe du don de l'Esprit. L'évêque invoque l'effusion [répandre sur…] de l'Esprit Saint par ces paroles:
Dieu très bon, Père de Jésus, le Christ, notre Seigneur, regarde ces baptisés sur qui nous imposons les mains: par le Baptême, tu les as libérés du péché, tu les as fait renaître de l'eau et de l'Esprit. Comme tu l'as promis, répands maintenant sur eux ton Esprit Saint; donne-leur en plénitude l'Esprit qui reposait sur ton Fils Jésus: esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et d'affection filiale; remplis-les de l'esprit de la crainte de Dieu. Par le Christ, notre Seigneur.

Pour conclure; si nous sommes des fils de Dieu, qu'avons-nous à craindre de Lui, qui est amour et miséricorde? Rappelles-toi le passage de l'évangile de Luc (15, 1-32) qui évoque le retour du fils prodigue, dans une magnifique parabole, illustration de la miséricorde de Dieu envers celui qui reconnaît ses fautes;

C’est en Matthieu, aux chapitres 5, 6, et 7 que l’on trouve les conseils de Jésus pour être vraiment fils du Père. Peut-être, un jour, pourrions-nous en reparler. Permets-moi de te donner les grandes lignes qui sont une piste pour comprendre l'action de l'Esprit Saint:
L’Esprit Saint n’est pas seulement une manifestation extérieure de puissance thaumaturgique et charismatique; il est aussi et surtout un principe intérieur de vie nouvelle que Dieu nous donne. Reçu par la foi et le baptême, il habite dans le chrétien, dans son esprit, et même dans son corps, (1 Co 6, 19). Cet Esprit, qui est l’Esprit du Christ, rend le chrétien fils de Dieu, et fait habiter le Christ en son cœur. Il est pour le chrétien (comme pour le Christ lui-même) un principe de résurrection, par un don eschatologique qui dès à présent le marque comme d’un sceau, et se trouve en lui à titre d’arrhes, et de prémices, (Rm 8,23). Se substituant au principe mauvais de la chair, il devient en l’homme un principe de foi, de connaissance surnaturelle, d’amour, de sanctification, de conduite morale, de courage apostolique, d’espérance, et de prière. Il ne faut pas l’éteindre, ni le contrister [lui faire de la peine, l'attrister]. Unissant au Christ, il fait l’unité de son Corps.

Il faudra aussi que nous parlions de la miséricorde.
Pour l'heure, je te quitte et te salue en latin: vale [salut!]. Portes-toi bien et vit comme une fille de Dieu.>

-----------------------
Illustration
Cathédrale catholique de Dublin
Rembrandt - Le retour du fils prodigue
*****
Chers lecteurs, si vous avez des remarques, des observations ou des questions, écrivez-moi à l'adresse jacques.choquet2@orange.fr en toute discrétion.
À suivre … si vous le voulez bien.

Le  jeudi 11 mai 2017

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire